Du point de vue de l’analyse économique du droit, l’existence d’un droit des procédures collectives est justifiée dans la mesure où il apporte une réponse aux problèmes de coordination entre les parties prenantes et leur permet de négocier dans un cadre de négociations structuré. Les procédures de restructuration dites « préventives », qui interviennent en amont des problèmes de liquidité du débiteur, ne sont pas une exception. Elles sont éco-nomiquement justifiées lorsqu’elles permettent mieux que les procédures collectives « traditionnelles » d’effectuer un tri parmi les entreprises viables et celles qui ne le sont pas, et facilitent la restructuration opérationnelle et financière des premières, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.
À cet égard, la récente Directive sur les cadres de restructuration préventifs semble décevante. Son texte final porte en effet les traces des visions profondément divergentes quant aux objectifs que doivent poursuivre les procédures envisagées : la préserva-tion des entreprises en activité coûte que coûte, ou, au contraire, la maximisation de la valeur des actifs du débiteur dans l’intérêt de toutes ses parties prenantes. Ce qui en résulte est une harmo-nisation inachevée et, surtout, une absence regrettable de socle intellectuel clair et cohérent.
En dépit de ses multiples défauts, la Directive apporte quelques innovations majeures pour les procédures de restructuration préventives, s’agissant à la fois de l’approbation des plans de restructuration (vote par classe de créanciers, cross-class cram down, possibilité de traiter les associés comme une classe de créanciers) et des protections accordées aux intérêts des parties prenantes (best interest of creditors test, règles de priorité). Néanmoins, la variété déroutante d’options de transposition de ces mesures, témoignage des divergences profondes des visions des multiples auteurs de la Directive, exige que les législateurs choisissent des lignes directrices claires pour donner une cohérence aux procédures de restructuration au niveau national là où elle manque au niveau européen.
Pour la France, les enjeux sont particulièrement importants, car une bonne transposition de la Directive permet d’espérer l’émergence des procédures économiquement efficientes et inter-nationalement compétitives. De notre point de vue, une telle transposition nécessite une prise en compte des enseignements d’une analyse économique fonctionnelle. Elle devra notamment s’accompagner d’une profonde réforme du droit des entreprises en difficulté, afin d’augmenter sa transparence et sa prévisibilité. Ce sont les conditions nécessaires pour assurer une allocation optimale des ressources dans l’économie et stimuler le développement des marchés financiers français, notamment obligataire et celui de la dette décotée. À terme, ces réformes permettraient à la fois de faciliter l’accès des entreprises françaises au finance-ment et de rendre le droit français véritablement attractif pour le traitement des restructurations transfrontalières.
La présente étude est structurée de la manière suivante. Après une brève introduction dans la Partie I, la Partie II fournit le cadre conceptuel général de notre analyse, largement basée sur ce que nous allons appeler l’analyse économique « fonction-nelle » du droit. Cette partie explique quels semblent être les objectifs et les caractéristiques de base que doivent avoir, de notre point de vue, les procédures de restructuration préventive. Les praticiens qui sont plus intéressé dans l’analyse du texte de la Directive Restructuration elle-même peuvent parcourir rapi-dement la Partie II et se concentrer sur la Partie III de la pré-sente étude, qui offre une analyse des différents modèles cachés dans le texte de la Directive, leurs objectifs et principales caractéristiques (suspension de poursuites, règles de prise de décision, protection des intérêts des parties prenantes), y compris une mise en perspective par rapport aux procédures préventives françaises actuelles. Enfin, la Partie IV est dédiée aux problèmes spécifiques posés par la future transposition de la Directive en droit français.