Par Cyril Deniaud et Sophie Vermeille,
RTDF – 26 septembre 2013
Pour conquérir un champ de bataille, il fut d’usage militaire de l’observer sur carte et à longue-vue au préalable. À défaut, le plan d’engagement des forces paraissait trop hasardeux. D’aucuns diront que l’art militaire a aujourd’hui perdu de sa superbe. Le volet boursier de la loi « Florange » en est une illustration presque caricaturale. En l’absence de socle scientifique, ses mesures sont critiquables et ses effets dommageables.
Cette loi repose tout d’abord sur un certain nombre de postulats qu’il est possible de contester. S’agissant de la supposée nocivité des OPA, il faut rappeler qu’il n’est jamais bon de faire de quelques cas isolés (et aussi anciens qu’Arcelor et Péchiney) une loi, et qu’aucune étude sérieuse menée à ce jour n’autorise les jugements définitifs, qui plus est négatifs, sur les OPA. De même, on aurait aimé que soient mieux démontrées la nécessité de renforcer la lutte contre les prises de contrôle rampantes (quand bien même celles-ci seraient révélées publiquement en application de la réglementation sur les déclarations de franchissement de seuil et d’intention), ainsi que l’opportunité d’encourager les « poison pills » (qui s’avèrent bien souvent être des « suicide pills » pour les sociétés cibles).
De surcroît, ces mesures, répondant à des objectifs multiples, ne sont pas toujours cohérentes entre elles. D’un côté, les droits de vote double, spécificité franco-suédoise, deviendraient le principe dans les sociétés cotées ; de l’autre, il est constaté que ces mêmes droits de vote double, qui empêchent le libre exercice de la « démocratie actionnariale » en assemblée générale, sont en grande partie à l’origine des situations de contrôle de fait, alors même que la loi vise justement à lutter contre de telles situations !
Pire, les mesures proposées perdent souvent de vue que les règles relatives aux OPA doivent reposer sur un subtil équilibre tenant compte des intérêts de tous les acteurs en présence (société cible et salariés certes, mais aussi actionnaires de la société cible et initiateur).
Dans l’optique d’une réconciliation avec l’économie, et en plein « choc de simplification », cette loi ne peut qu’interroger. Il est inquiétant de voir l’économie des règles relatives aux OPA être bouleversée si profondément, sans état des lieux et sans étude d’impact préalable, et de manière isolée par rapport à nos voisins européens. Si l’ensemble des mesures envisagées devait être adopté, la France aurait probablement le droit des OPA le plus hostile d’Europe pour un investisseur (qu’il soit français ou étranger), ce qui nuirait considérablement au marché des entreprises cotées, à leur compétitivité et plus généralement à la croissance. On ne peut d’ailleurs exclure que confrontées à une telle réglementation, certaines sociétés préfèrent quitter la Place de Paris pour aller se coter sur des places boursières étrangères.