19 Novembre – chez REUTERS – Paris
Programme
Ouverture de la conférence :
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- François Vannesson, Trésorier de D&C : La mission principale de D&C est de répondre à un premier constat, celui de la faiblesse de la recherche française en matière d’analyse économique du droit, conséquence logique du cloisonnement intellectuel entre droit et économie dans l’université française, alors que l’approche pluridisciplinaire est la règle dans de nombreux pays notamment aux Etats-Unis. Deuxième constat, l’insuffisance criante des travaux existant dans le champ Law & Economics, dans le cadre du processus de l’élaboration des normes, notamment en France, y compris dans la régulation économique. Ce double constat est, selon nous, un facteur explicatif de la baisse de la compétitivité en France, (…) ce qui nous a conduit à élargir notre domaine d’intervention (smart regulation, droit public, gouvernance et marchés financiers, restructuration, concurrence, IT et propriété intellectuelle et réglementation bancaire). Pour citer le Général De Gaulle « Nous avons choisi de vivre en état de concurrence et cette concurrence, il faut la soutenir et même en tirer profit », or si le Général De Gaulle considérait à raison que tout tient à ce que vaut notre appareil de production par rapport à celui des autres, il en est de même de l’université et de la recherche.
Intervention : L’Europe face à l’Etat actionnaire : les conséquences pour la concurrence
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- Olivier Guersent, Directeur général, Direction Générale Concurrence (COMP), Commission Européenne : Partout en Europe, le rôle de l’Etat actionnaire/régulateur s’est modifié avec un tournant dans les années 90, avec des vagues successives de libéralisation des utilités publiques. Dès lors que ces grandes utilités étaient libéralisées, la question de l’actionnariat public s’est posée autour de la trilogie entreprise publique, service public, monopole public entraînant l’émergence de régulateurs dits indépendants. La seule mention de cette question d’entreprise publique ne figure pas dans les traités de concurrence, mais sous la forme d’une affirmation, celle de la neutralité du traité en ce qui concerne le régime de propriété publique ou privée des entreprises. La politique de concurrence n’est pas pour autant étrangère au débat.
Comment, dès lors, conseiller l’Etat régulateur, producteur de normes, qui attribue des privilèges, des monopoles, qui confère des missions de service public, qui supervise, arbitre les désaccords entre les concurrents ? Comment le concilier avec l’Etat opérateur qui se comporte comme « un investisseur avisé » en économie de marché, selon l’expression jurisprudentielle en matière d’aides d’Etat ?
La politique de concurrence, n’est pas différente des autres, elle n’opère pas dans le vide, sa mission est de faire fonctionner de manière optimale les marchés, elle est la résultante d’une impulsion des Etats Membres et du Parlement Européen. Ce sont les Etats membres qui décident de cette impulsion : la politique de concurrence consiste à vérifier que le jeu concurrentiel décidé par ces derniers fonctionne conformément à ce qui a été décidé. La politique de concurrence anime donc le jeu concurrentiel. Par exemple, il n’y a aucune règle de concurrence qui force l’Etat français à décider de générer sa ressource hydroélectrique sous forme de concessions, c’est l’Etat français qui l’a choisi. Dès lors qu’un choix a été fait, il n’est pas acceptable que les concessionnaires publics ne soient pas soumis aux mêmes règles que les concessionnaires privés. La politique de concurrence fait donc peser un impératif de cohérence. La politique de concurrence s’adresse aux entreprises mais aussi aux Etats, car nous ne sommes pas un Etat confédéral mais un marché unique. Le marché unique est notre plus grand bien, et nous l’avons vu avec le Brexit.
La pandémie a remis en question du rôle de l’Etat dans l’économie.
En mars 2020, la Commission européenne a créé deux mesures phares : un encadrement temporaire des règles antitrust et des règles relatives aux aides d’Etat. Rien de tout cela n’aurait été possible sans les règles prédéfinies par les traités.
La Commission a temporairement autorisé la suspension des règles de production et de répartition des marchés afin de faire gagner 20% de production dans le secteur pharmaceutique pour la commercialisation des produits nécessaires en soins intensifs, compte tenu des besoins grandissant avec l’épidémie du Covid-19.
Sur les aides d’Etat, nous avons procédé à une sortie temporaire du cadre de Maastricht afin de maintenir les entreprises à flot – ce qui explique que les entreprises n’ont pas coulé – afin de préserver le tissu productif européen. La Commission a autorisé des mesures de recapitalisation aux entreprises afin de nourrir aujourd’hui la reprise. Depuis mars 2020, la Commission a adopté 170 décisions pour un total de 3 000 milliards d’euros (autorisations de programmes de dépenses) et 85% de ces dépenses étaient à destination de l’Allemagne, la France, et l’Italie. La pandémie a révélé la capacité d’adaptation des Etats membres. Par ailleurs, l’Europe est dépendante des chaînes d’approvisionnement stratégique, cela est un vaste débat en Europe, le concept d’« activités stratégiques », on le comprend aisément lorsque l’on parle de semi-conducteurs, de microprocesseurs, etc… Mais lorsque le ministre de l’Economie avait utilisé ce concept d’« activité stratégique » dans le secteur du yaourt, cela peut présenter une certaine difficulté (rires).
Le sujet n’est pas l’Etat actionnaire ici présent, mais l’Etat actionnaire qui prodigue une aide de plusieurs milliards sans contrepartie. Si ça fonctionne, l’Etat ne récupèrera pas son argent car il n’est pas actionnaire ni prêteur. On peut donc légitimement s’interroger sur l’opportunité de l’Etat actionnaire plutôt que non actionnaire. Avec le concept de champion européen, cela peut concerner notamment des entreprises étrangères, qui sont leaders sur un secteur de marché européen dans le sillage du « big is beautiful ». Le cas Siemens-Alstom : il convenait de « remettre l’église au milieu du village » : deux géants mondiaux qui expliquent à la Commission qu’il est nécessaire pour eux de fusionner pour être compétitif au plan mondial. S’ils avaient fusionné, ils auraient été ultra-dominants. On peut donc s’interroger sur l’opportunité d’une fusion : est-il nécessaire qu’ils exploitent des rentes de monopoles au détriment des Etats actionnaires et, in fine, qu’ils extraient la rente des contribuables ? Ils indiquent que cela permettra d’augmenter la compétitivité. Le seul problème ici est celui d’acquérir de la compétitivité en évitant l’extraction de la rente. Des aménagements ont été proposés, avec l’autorisation d’une méga fusion en échange de la cession d’actifs sur les marchés où un problème de concurrence émergeait au sein d’un Etat membre. L’acquisition de Bombardier par Alstom posait les mêmes défis, à la différence qu’Alstom avait vendu les activités qui posaient des difficultés en matière de concurrence dans certains Etats membres. Ainsi, ils ont pu avoir la taille qu’ils désiraient sans distordre la concurrence et sans abus de position dominante.
Je pense qu’il nous faut des entreprises en Europe, il est important d’avoir une grande puissance avec une masse critique en Europe, mais c’est plus difficile d’avoir un poids de marché raisonnable. Il faut rester attentif à la question de l’innovation et éviter que les grosses entreprises empêchent que les petites entreprises innovent. L’innovation est la plus présente dans les plus petites entreprises, pour augmenter la résilience, et les défis de demain, décarboner l’économie. Cela ouvre le champ pour l’Etat de favoriser l’innovation et de suppléer le marché lorsque le marché est défaillant. Raison pour laquelle il est nécessaire d’adapter une politique de concurrence, afin d’aider aussi ces petites entreprises. Il est nécessaire d’accompagner l’économie européenne afin d’améliorer les conditions de création d’un cadre favorable à l’innovation.
Protéger la compétitivité et le bien-être des consommateurs tout en favorisant l’innovation est d’une importance cruciale. Personne n’a dans les idées que l’Europe doit devenir autarcique, et c’est particulièrement peu pertinent lorsque nous sommes une zone nette exportatrice. Dans un système de droit commercial et de droit de la concurrence qui protègent, on ne peut pas instrumentaliser la politique de concurrence et espérer que les Américains soient plus adaptés par ailleurs.
Sur la question des subventions étrangères, il y a actuellement un débat à la Commission sur les subventions données aux entreprises actives dans l’Union européenne afin de les soumettre au même régime que le régime des aides d’Etat dans le droit de l’Union.
Table ronde 1 : Analyse des déterminants de la montée du protectionnisme
Faut-il revenir sur le champ d’application du règlement sur les investissements étrangers ?
Intervenants :
- Hervé Novelli, ancien Secrétaire d’État chargé du Commerce, de l’Artisanat et des PME
- Philippe Varin, ancien Président de France Industrie, Président du Conseil d’Administration de Suez
- David Azema, Associé, Perella Weinberg UK Limited
- Georges Ugeux, Président de D&C, Adjunct Professor à la Columbia Law School
Hervé NOVELLI, ancien Secrétaire d’État chargé du Commerce, de l’Artisanat et des PME : Nous sommes face à un paradoxe, une mondialisation triomphante y compris durant la pandémie (coopération mondiale en matière de vaccin), beaucoup de choses ont pu se faire, et dans le même temps, une montée du protectionnisme, une revendication d’autonomisation stratégique, de protection qui est aussi à l’œuvre en France et à l’étranger. Pourtant le commerce international est en croissance, il faut mettre ce constat en perspective avec le fait que la pauvreté a reculé dans le monde, nous n’avons pas une idée très précise de ce recul, mais en 1980, le critère de pauvreté (capacité à disposer de moins de 2 dollars par jour) 40 % d’individus étaient sous ce seuil ; en 1990, c’était 30% et en 2017, c’est moins de 10% : nous avons observé ces dernières années la rapidité du recul de la pauvreté. Or, avec la pandémie, la pauvreté n’a pas reculé. Les échanges internationaux, sont le critère le plus important pour connaître la tendance de recul de la pauvreté ; et quand les échanges s’effondrent, la pauvreté ne recule plus.
Cette mondialisation productrice de bien-être s’est accompagnée d’un retour d’un certain nombre de thèmes, l’autonomie stratégique, la souveraineté stratégique, avec l’exemple français de la loi en 2005 sur les OPA avec pour rapporteur Thierry Breton, ce texte était accompagné d’un décret en 2006 sur la notion d’intérêt stratégique et avait listé quelques secteurs ; essentiellement dans le domaine régalien, avec la nécessité de contrôles en matière d’investissements étrangers. Avec le deuxième décret Montebourg, la liste s’est étendue, jusqu’aux dernières années avec le décret dit Le Maire, générant une extension des domaines jugés stratégiques (santé et agroalimentaire). C’est une liste stratégique qui s’étend beaucoup, qui pose le problème de savoir ce qui l’est ou pas. La Commission européenne, lorsqu’il y a eu ce décret, s’en est émue en soulignant l’absence de cohérence avec les principes de l’Union européenne, selon l’expression d’un commissaire européen de l’époque. Aujourd’hui, c’est une véritable évolution, nous avons un règlement qui opère un filtrage avec une exigence de faire remonter à la Commission les investissements étrangers devant être contrôlés.
Il faut reconnaitre que la pandémie a souligné des défaillances dans les chaînes d’approvisionnement et la plasticité de la Commission a pu venir en soutien comme le soulignait Olivier Guersent. Les tentatives de « relocalisation » avancées par certains au plan national sont louables, mais ce phénomène ne sera que partiel et marginal selon certaines études. Comment cela peut-il s’organiser au niveau européen ? C’est au niveau européen que doivent être réfléchies ces relocalisations et ces solutions palliant aux défaillances des chaines d’approvisionnement.
Philippe VARIN, ancien Président de France Industrie, Président du Conseil d’Administration de Suez : Je voudrais commencer par quelques mots sur l’accroissement des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, mon premier commentaire porte sur le fait de l’accroissement des tensions commerciales internationales. Quelques indicateurs : des décisions unilatérales de rupture de contrat (sans mentionner les sous-marins) ; des barrières tarifaires observables sur la base de données Market Access de l’UE sur laquelle on constate qu’en 2020, il y a 438 barrières tarifaires dans 58 pays (+10% en 2020) ; les procédures anti-dumping, il y en a 150, deux tiers concernent la Chine, c’est un indicateur objectif ; l’organe d’appel de l’OMC est également bloqué par les Américains depuis 2 ans ; les difficultés du multilatéralisme, on en parle depuis 2001, pour tenter de terminer le sujet des subventions sur la pêche. Un panorama factuel donc.
Deuxième propos, sur le renouveau du protectionnisme, il faut en analyser les causes profondes, j’en vois trois. Première cause, l’usurpation du statut de pays en voie de développement par la Chine, la problématiques des SOEs (« state owned enterprises ») chinoises, afin de mesurer le degré de soutien de l’Etat chinois à ces entreprises qui opèrent en Europe et en dehors de ses frontières. Deuxième cause profonde, le découplage entre la Chine et les US, on en parle beaucoup, il concerne les techniques de souveraineté de la défense, cyber sécurité, le spatial… C’est un découplage réel, même s’il est à relativiser, il induit du protectionnisme. Jusqu’à présent on a évalué les procédures du dumping, la dimension unique du dumping est en train d’éclater avec le CO2, il va falloir le faire évoluer ainsi le « level playing field » au fur et à mesure que le prix du carbone va augmenter. Troisième facteur, sur les droits de l’homme avec demande exigeante du consommateur européen qui souhaitera s’assurer que les entreprises respectent les droits humains.
Au-delà de ces trois causes, un sous-jacent important, un basculement géopolitique, une situation sur l’énergie du monde et de l’approvisionnement en celle-ci, cette énergie est responsable de 80% des émissions de CO2 dans le monde. La maîtrise de l’approvisionnement en énergie va dicter la géopolitique ; prenons Arabie Saoudite, USA, Russie. Ce triangle a déterminé les guerres, les excursions hors du référentiel « level playing field » avec l’OPEP. Le monde d’après serait potentiellement un monde sans carbone mais un monde riche en métaux stratégiques. D’ici une dizaine d’années, on estime que la demande en métaux précieux va augmenter de manière spectaculaire (demande multipliée par 3 pour le cuivre, par 4 pour le lithium, le cobalt suivra la même tendance haussière). Certains responsables politiques souhaitent un monde décarboné mais dans les 10 ans qui viennent, la demande en métaux précieux et terres rares va augmenter inexorablement (c’est particulièrement vrai pour le cuivre). Les chinois ont pris en moyenne la moitié des chaînes d’approvisionnement en matière de métaux précieux, ils ont un temps d’avance, c’est un fait. Ce basculement (Chine-USA), va jouer un rôle important, se pose donc la question de comment sécuriser ces matières premières.
Le niveau de traitement de ces sujets doit être européen, la France peut être à la manœuvre mais cela doit se faire au niveau européen. Le risque en France est de vouloir créer des dispositifs et de chercher des clés sous le réverbère parce que c’est éclairé. Ce dispositif sur les investissements étrangers, maintenant ce n’est plus 10% du capital, mais 25%, on peut utiliser le décret « activités stratégiques », on a un outil stratégique nécessitant une coordination des intérêts européens, il faudra être clair sur la liste des activités stratégiques mais également sur les technologies de la décarbonation (modèle de défense hybride). Ces mêmes secteurs sur lesquels il y aura des investissements stratégiques plutôt que techniques. Puisque l’on va aller chercher des matières premières et des technologies de la décarbonation que l’on va partager, les relations pays à pays vont être certainement donnant-donnant, le concept de « level playing field », prendra une dimension différente dans les années à venir.
David AZEMA, Associé, Perella Weinberg UK Limited : Je relis la question qui a été posée à ce panel et vais être très académique : faut-il réduire ou modifier à la hausse le seuil pris en application de la loi Pacte pour réglementer les investissements étrangers ? En la matière, avant de répondre à la question, il faut regarder les investissements étrangers visibles. Ces sujets-là ce ne sont pas des sujets qui vont subir des évolutions majeures. Les pays feront toujours ce qu’ils veulent, ce n’est pas un problème de droit, mais un problème politique. L’opinion et la pression de l’opinion publique sont supérieures à l’Etat de droit car nous l’avons vu avec l’absence de privatisation d’ADP. La technique de l’intimidation fonctionne, et si elle ne fonctionne pas on peut faire autrement. L’exemple est l’entrée en vigueur du décret Montebourg en réaction à un conflit social.
Selon moi, tout est toujours possible, on ne parle pas de ces circonstances qui sont supérieures aux intérêts juridiques à mon sens. Mais bien sûr, le droit est important, quand on regarde des opérations de M&A, on parle de sujets plus techniques et souvent plus stratégiques, mais les « activités stratégiques » objet des opérations de M&A, sont celles qui apparaissent comme importantes et prédominantes aujourd’hui mais qui sont en fait des opérations susceptibles de mettre en péril les intérêts stratégiques du passé, et pas ceux d’aujourd’hui et du futur. Pourquoi ? Parce qu’il y a un effet d’hystérèse, l’opinion n’a pas encore vu les intérêts stratégiques de demain, définir ce qui est stratégique est donc délicat.
Faut-il faire encore évoluer ou faut-il de la stabilité ? Comme disent les Anglais, « if it ain’t broken don’t fix it ». Laissons le texte tel qu’il est-il est, d’une grande souplesse, de telle manière que si on le veut on peut tout y mettre et qu’on n’a aucune expérience de contentieux sur ce sujet ; ce dont on a besoin, c’est de la stabilité mais aussi de pratique. Nous n’avons pas besoin de penser qu’il y aura un jour une doctrine un jour car le monde change, comme Philippe Varin le dit avec les métaux précieux.
Mais je doute que l’on puisse avoir cette stabilité, en Grande-Bretagne, l’équivalent du décret du 31 décembre 2019, même les pays les plus souples en matière d’investissements étrangers ne l’ont pas adopté. Le plus important, c’est le degré d’influence. Ce qui est intéressant c’est que les Anglais ne se contentent pas de sanctionner les prises de contrôle, le but c’est de contrôler les investissements étrangers dans les entreprises fondamentales dans la chaîne d’approvisionnement des entreprises britanniques. Le champ d’application est plus large, car ce qui est stratégique ne se trouve pas aujourd’hui nécessairement sur le territoire national. Nous assistons à mon sens à une course aux armements en matière de protection des intérêts stratégiques nationaux en matière de contrôle des investissements étrangers.
Deuxième réflexion, nous assistons à une « antitrustisation » du sujet, en M&A, il y a un temps considérable entre le moment de l’annonce et la prise de contrôle effective car il est nécessaire de contacter les autorités nationales de la concurrence pour vérifier la conformité de l’opération avec les textes. C’est un système de lourdeur dans le contrôle des investissement étrangers mais l’Europe est petite, la souveraineté ne dépend pas que du droit, cela dépend de sa stabilité stratégique, des ressources, et en la matière je ne suis pas sûr que cela pèse tant que ça. Nous allons reproduire dans notre domaine un morcellement, il va falloir sortir de l’hypocrisie du règlement de la Commission car on ne va pas pouvoir se passer d’une européanisation du contrôle des investissements étrangers car si nous observons un affaiblissement des pratiques, si l’Europe ne peut pas se passer de ces intérêts, et loupe le coche, peut-on être un géant économique en restant un nain politique ?
Georges UGEUX, Président de D&C, Adjunct Professor à la Columbia Law School : J’aimerais amener un panorama différent, dans le domaine dont nous parlons. Sur le marché des actions, nous avons un territoire national de cotation en France, et depuis 25 ans s’ouvre le monde des cotations internationales qui emmène avec lui le problème de la réglementation de ces marchés sur lesquels ces entreprises veulent se coter. Assez rapidement à la bourse de New York, je me souviens m’être retrouvé face au nationalisme, il était question de coter la China Petroleum Company, puis nous avions ensuite reçu une lettre du Congrès transmise également auprès de la SEC disant en résumé que les Chinois ont des activités au Soudan, et au Soudan les chrétiens sont maltraités, donc la cotation est impossible. Les banquiers d’affaires ont donc eu l’ingénieuse idée de prendre la décision de splitter la société, l’une des activités contenant la filiale soudanaise n’étant pas cotée. Mais l’argent est fongible, qui alors pour contrôler qu’une partie de cet argent ne se retrouve pas au Soudan ? Les Américains découvrent alors un risque mortel, celui que toutes les sociétés américaines aillent se coter aux Bermudes. Il faut éviter la cotation des sociétés américaines à l’étranger pour éviter que le capital s’en aille donc on fait voter la loi Sarbanes-Oxley dans laquelle on met des bâtons dans les roues aux sociétés souhaitant se coter à l’étranger, donc cela présente un problème. Le régulateur japonais et vingt sociétés japonaises nous expliquent que nous ne devons pas nous inquiéter et que le fait que les auditeurs des sociétés japonaises ne peuvent pas être considérés comme non-indépendants (alors que ce sont des anciens cadres de l’entreprise), parce que l’assemblée générale a le droit de virer les auditeurs. On n’a jamais viré d’auditeurs au Japon. Mais comme on avait à la SEC, un monsieur qui a travaillé au Japon qui était devenu le responsable de la corporate finance, on décide qu’on va se satisfaire de ce genre de choses.
La plus grande opération protectionniste de l’humanité et du XXIème siècle, c’est le Brexit. La City de Londres veut le beurre et l’argent du beurre, être un leader européen sans être dans l’Europe. Rien n’a été décidé en matière de services financiers, tout doit passer par le filtre de l’équivalence, ça devrait être facile car la réglementation reste la même, les Britanniques veulent créer leur propre réglementation et espérer que cela soit équivalent au niveau européen. Aux Etats-Unis, les Américains ont le droit divin de contrôler les auditeurs de toute les sociétés cotées aux US dans le monde entier, c’est quand même outrageux et les seuls qui refusent ce sont les Chinois, car on ne peut décoter toutes les sociétés chinoises. Ce texte, unanimement voté par les démocrates, puis avec le décret Trump disant que toutes les sociétés chinoises doivent se décoter, a pour conséquence pour les bourses de forcer les trois sociétés de télécommunications chinoises à se décoter des places boursières américaines et donc les investisseurs en pâtissent. Maintenant, les Chinois ont décidé que toutes les sociétés chinoises devaient aussi se décoter par réciprocité.
Donc à peu près partout sur tout le panel, j’observe la montée des nationalismes, la montée du protectionnisme et tout une série de mesures en ce sens. Et je les rejoins sur la nécessité d’un travail à faire au niveau européen.
Questions au panel (non incluses)
Table ronde 2 : Les pouvoirs des actionnaires de contrôle basés en France se sont-ils renforcés ?
La loi Florange a-t-elle contribué à dissuader les investissements étrangers ?
Les actions à droits de vote multiples peuvent-elles contribuer à l’attractivité de la place financière de Paris ?
Doit-on anticiper la fin des structures sociétaires pyramidales et des sociétés en commandite par actions ?Intervention :
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- Alexandre Garel, Assistant Professor, Audencia Business School, membre du Comité d’orientation de D&C
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Présentation d’article : The Effect of Tenure-Based Voting Rights on Stock Market Attractiveness
- Olivier Guersent, Directeur général, Direction Générale Concurrence (COMP), Commission Européenne : Partout en Europe, le rôle de l’Etat actionnaire/régulateur s’est modifié avec un tournant dans les années 90, avec des vagues successives de libéralisation des utilités publiques. Dès lors que ces grandes utilités étaient libéralisées, la question de l’actionnariat public s’est posée autour de la trilogie entreprise publique, service public, monopole public entraînant l’émergence de régulateurs dits indépendants. La seule mention de cette question d’entreprise publique ne figure pas dans les traités de concurrence, mais sous la forme d’une affirmation, celle de la neutralité du traité en ce qui concerne le régime de propriété publique ou privée des entreprises. La politique de concurrence n’est pas pour autant étrangère au débat.
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Il s’agit d’une recherche menée avec Thomas Bourveau (Columbia University) et Francois Brochet (Boston University) qui traite de la conséquence de la mise en place de la généralisation des droits de vote double telle que prévu par la loi Florange du 29 mars 2014, et de penser les conséquence positives et négatives de cette législation.
Que prévoit la loi Florange ? Un droit de vote double automatique, si détention au nominatif pendant plus de deux ans. Une entreprise peut ne pas l’appliquer et doit alors voter une résolution à la super majorité selon laquelle une action égale une voix.
Quelle est la défaillance de marché, et quel correctif est apporté par le législateur et cette correction est-elle la meilleure ? Quels en sont les effets négatifs ?
L’objectif : « encourager l’actionnariat de long terme pour contrer le court-termisme du marché actions » par la mise en place du droit de vote double.
Le postulat : le législateur part du postulat d’une pression à court terme sur le marché actions qui empêcherait d’investir, mais rien n’est évident dans ce postulat.
En effet, une action est une machine à valoriser le long terme, prenons l’exemple d’Amazon qui n’a pas généré de profits au début. Deuxième point, si une entreprise n’investit pas, c’est aussi qu’elle n’a pas de bonnes opportunités d’investissement, le court-termisme peut donc ne rien à voir là-dedans, car si la majorité du cash est distribuée sous formes de dividendes, ce n’est pas nécessairement mauvais car s’opère une réallocation optimale du capital dans des entreprises ayant des promesses de cash-flow futurs bien meilleures que celle ayant distribué le dividende.
Il y a donc une dichotomie entre court-termisme et investissement qui n’est en réalité pas évidente à démontrer. Dans un modèle de valeur actuelle nette, il n’est là encore pas évident de postuler que les actionnaires préfèrent le cash-flow à court terme plutôt que le cash-flow à long terme. Sur le marché américain, les données démontrent que les entreprises cotées investissent plus que les entreprises non cotées. Ensuite aux Etats-Unis toujours, les dirigeants interrogés dans le cadre d’une étude que nous avons recueillie, annoncent qu’ils préfèrent plus souvent prendre des décisions qui vont favoriser la montée du cours de bourse à court terme, même si ces décisions pourront avoir des conséquences négatives selon le déclaratif empirique. Selon les preuves empiriques disponibles sur le marché européen, on ne constate pas un recul des investissements ou des apports en capitaux sur le marché européen. On pourrait alors appliquer ces méthodes d’investigation au marché français pour avoir une opinion éclairée.
Le législateur indique que le court-termisme nuit à l’investissement des investisseurs, le chercheur, lui attend des preuves empiriques qui n’ont pas encore été produites.
Le législateur dit qu’il faut préserver et favoriser l’actionnariat de long terme. C’est donc selon lui une façon de se protéger mais, quand on regarde les preuves empiriques, on se rend compte qu’avoir une série d’actionnaires institutionnels de long terme permet une meilleure performance boursière par rapport à ceux qui ont une base actionnariale plus éparse, cela génère plus d’innovation, moins de manipulation de marché, et permet également une valorisation plus proche des fondamentaux de l’entreprise en question, (N.B : ces travaux sont faits auprès des institutionnels).
Mais il y a également des effets pervers résultant de l’existence des droits de vote double, à savoir : une perturbation de l’équilibre de marché préexistant. En effet, il y a des entreprises où cela fait sens et d’autres disent « non, nous ne les adopterons pas ». Le régulateur crée donc une déviation de l’équilibre de marché préexistant. Par ailleurs, cela devient plus dur pour les minoritaires, cela une expropriation des actionnaires minoritaires, avec un renforcement des actionnaires majoritaires à leur détriment.
Et cela soulève une problématique au niveau de l’actionnariat institutionnel étranger, car il faut ses actions au nominatif, et ça représente un coût de passer ses titres au nominatif (ou un manque à gagner) car un institutionnel prête ses actions dans sa manière de fonctionner. Au nominatif, ses actions sont immobilisées. Le droit de vote double est donc contraire aux principes de bonne gouvernance des investisseurs institutionnels étrangers.
Par ailleurs, la présence d’institutionnels étrangers, est plutôt positive, en termes de bonne gouvernance, d’innovation et en termes de politiques ISR/ESG.
Il faut alors se demander une chose et poser les conditions de réalisation de l’objectif du législateur. S’il y a du court-termisme, s’il empêche l’investissement et si on ne peut généraliser les droits de vote double, ça peut avoir des effets positifs.
Cependant, ce n’est pas susceptible de viser l’objectif poursuivi. L’Etat français, législateur, va aussi bénéficier de la mesure qu’il met en place, il a subsidiairement l’intérêt de la mesure en tant qu’actionnaire, tant que l’Etat actionnaire qui monte au capital va vérifier qu’il ne rejette pas les droits de vote double pour garder une minorité de blocage. Ça ne résout donc pas le « problème » du court-termisme.
L’étude en question procède d’un examen empirique : sur un échantillon de 340 entreprises, la majorité des entreprises ont déjà des droits de vote double avant Florange, parmi celles qui n’en ont pas, 24 % vont les adopter et la majorité vont les rejeter, ce qui montre qu’il y avait un équilibre de marché préexistant.
Ensuite, nous avons procédé à une comparaison de l’évolution de l’actionnariat parmi celles qui ont adopté les droits de vote double par rapport à celles qui les ont rejetés. Dans l’échantillon des investisseurs institutionnels étrangers, il se n’agit pas d’investisseurs de court terme, leur majorité vient des US / UK, et pour l’actionnariat français, il s’agit des individus, des familles.
La conclusion de l’étude : nous avons la constatation visuelle d’une perte relative de 4% de l’actionnariat investisseur étranger, et d’une substitution d’un type d’actionnariat de long terme au détriment d’un autre, qui se fait au détriment de l’investissement étranger.
Enfin, au regard de la comparaison des rendements boursiers entre ceux qui adoptent et ceux qui rejettent les droits de vote double, ce que l’on remarque, c’est que les rendements boursiers ne sont pas meilleurs pour ceux qui adoptent les droits de vote double, ils sont même négatifs par rapport à ceux des entreprises qui ont rejetés les droits de vote double. De la même manière, ceux qui adoptent ne font pas plus d’investissement en R&D, ne sont pas meilleurs du point de vue des critères ESG, que ceux qui ont rejetés les droits de vote double.
Maintenant, si l’objectif est de donner moins de pouvoirs aux investisseurs étrangers, c’est réussi et il se pourrait que ceux qui ont adopté les droits de vote double sont mieux capables de préserver l’emploi que ceux qui n’ont pas adoptés les droits de vote double, mais il est difficile de l’observer…
- Intervenants :
- Benoît de Juvigny, Secrétaire Général, Autorité des Marchés Financiers
- Alain Pietrancosta, Professeur universitaire et membre du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), membre du Conseil d’Administration de D&C
- Denis Branche, co-fondateur de Phitrust
- Angus Milne, Directeur Risk & et Compliance de TCI
La loi Florange a-t-elle contribué à dissuader les investissements étrangers ?
Alain PIETRANCOSTA, Professeur universitaire et membre du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), membre du Conseil d’Administration de D&C : J’ai écouté la présentation avec attention et, il est vrai, certain nombre d’études ont montré qu’il n’y a pas d’augmentation de la durée de détention, et que cela génère un biais « pro insider ». En effet, on a une dichotomie entre l’intention louable du législateur et la démonstration économique qui n’est pas là.
Benoît DE JUVIGNY, Secrétaire Général, Autorité des Marchés Financiers : Je voudrais faire une précision liminaire sur le fait que mes propos n’engagent que moi et pas l’AMF. Il est vrai que publiquement l’AMF a été très prudent sur cette question, et l’AMF a toussé face au principe, notamment celui qui prévoyait parallèlement au droit de vote double celui d’une consultation des IRP sur les offres publiques, non pas le principe de donner de la voix aux salariés, mais en entrant dans un engrenage de délais on pouvait donner de facto un droit de veto aux IRP. L’AMF avait obtenu satisfaction pour éviter cela et les inquiétudes dans le débat au moment de la loi Florange n’étaient pas fondées. Personnellement, je ne suis pas fan des offres publiques hostiles, mais je crois en la possibilité dans des cas contraints et très limités d’une OPA hostile, qu’il est possible de limiter les problèmes de gouvernance. Il y a eu également un problème de la neutralité du conseil d’administration, cela a changé, grâce notamment à une discussion de l’AMF sur les seuils.
Ce qui est fondamentalement problématique est la manière dont fonctionnent les droits de vote double car, lorsque l’on est au capital d’une société et quand on change les règles du jeu, cela perturbe toutes les parties prenantes. Le Parlement a changé et a voté la loi en cours de vie et à ce moment-là on piège un certain nombre d’acteurs, une centaine de sociétés concernées, les minoritaires se sont fait piéger avec ce changement de règles du jeu, la méthode est discutable. Après coup, cela s’est vu, c’est l’APE qui beaucoup bénéficié de ces dispositions, pas vraiment pour monter au capital, mais plus pour des raisons budgétaires, vendre des actions et conserver la même influence au capital, pratique au demeurant très discutable.
Les conclusions auxquelles vous aboutissez cependant m’ont légèrement agacé parce que je trouve qu’en particulier sur l’emprise des institutionnels étrangers, c’est vrai que je partage le constat de cette étude, mais ce qui est un sujet plus important encore c’est que la règle du jeu ait changé si abruptement. Il faut faire attention sur les conclusions que l’on tire de cette étude car vous avez des sociétés qui ont des droits de vote double depuis toujours, et j’ai plus mal à dire c’est un sujet en soi. Changer la règle du jeu, c’est le principal souci. Je pense qu’on doit faire attention avec ce type de loi, et je ne vais pas parler de la décision ministérielle sur Carrefour, alors que la valorisation est bien plus élevée sur Couche-Tard, qui arrive à faire une offre aussi attractive sur Carrefour.
Cela veut dire que l’on a un problème avec nos niveaux de valorisation. Le travail le montre bien, ce qui décourage l’investissement étranger a une incidence sur les rendements boursiers, mais je remarque peut-être qu’il y a aussi un biais de sélection, avec un petit échantillon sélectionné dans l’étude. Beaucoup d’entreprises sont également dans le giron de l’APE, car l’APE n’a pas des portefeuilles très diversifiés.
Sur les droits de vote double, j’y reviens, le fait qu’il faille mettre ses actions au nominatif pour bénéficier du droit de vote double n’est pas un sujet, on peut pas faire autrement, peut-être un jour avec la blockchain on pourra faire autrement mais ça ne coûte pas non plus trop cher d’aller au nominatif, et l’existence de l’exercice d’un droit de vote majoré, pour ceux qui en ont envie fonctionne pour laisser les sociétés faire ce qu’elles veulent.
Angus MILNE, Directeur Risk & et Compliance de TC[1] : Nous sommes des investisseurs de long terme, nous avons pris l’avantage conféré par les droits de propriété sur les titres cotés au sein de nos portefeuilles, que ça fasse de nous des investisseurs de long terme ou non, la question importante est en lien avec la structure et profitabilité de l’entreprise en question, parmi d’autres facteurs.
Mais ça nous donne du « leverage » si on sent que l’entreprise ne va pas dans la direction que nous estimons qu’elle devrait prendre ou ne pas prendre. Nous avons la réputation d’être des investisseurs activistes, c’est un fait connu, mais par-dessus tout, la discussion porte sur le fait de dégager un consensus avec l’entreprise en question. Et parfois l’entreprise apprécie la position et la participation que nous avons prise dans leur entreprise en tant que qu’actionnaires engagés.
La raison pour laquelle je pense que les investisseurs institutionnels n’enregistrent pas leurs actions au nominatif notamment est que parce qu’ils ont beaucoup d’actions partout dans le monde, cela ne fait pas partie de leurs besoins d’essayer d’influencer le conseil d’administration avec leurs droits de vote double, cela ne fait pas partie de leurs intérêts économiques.
Je m’interroge peut-être sur le fait que cela pourrait changer la façon avec laquelle les gérants d’actifs ne se sentent aujourd’hui pas vraiment concernés par le réchauffement climatique. Je pense que cela pourrait les pousser à utiliser leurs droits de propriété pour influencer des résolutions pro-climat lors des assemblées générales, et faire quelque chose de différent.
Et je pense si la France veut désespérément des actionnaires de long terme, elle pourrait changer sa législation afin qu’il ne s’agisse pas seulement d’avoir à enregistrer leurs actions pour qu’elles donnent lieu à des droits de vote double mais plutôt, mais plutôt de faire en sorte qu’elle puisse simplement permettre aux entreprises de les déposer auprès du dépositaire, à son nom, et en cela je pense que cela pourrait changer les choses notamment sur les questions climatiques pour faire un usage intéressant des droits de vote double. Ou alors, je me trompe et il est question dans cette législation de favoriser les actionnaires de référence de long terme préexistants, et restreindre le champ d’action des activistes.
Il y a une chance que le changement climatique change le paysage financier, nous avons essayé de pousser des entreprises à prendre des mesures en ce sens, car elles ne le font pas assez rapidement.
Toutefois je pense que cette loi sur les droits de vote double pourrait être utile dans ce contexte, pour que les actionnaires participent plus activement en ce sens (résolutions pro-climat). Nous investissons dans une entreprise car nous pensons que ses perspectives sont intéressantes pour nos investisseurs sur le long terme, mais pas parce qu’elle procure des droits de vote double dans tous les cas.
Denis BRANCHE, co-fondateur de Phitrust : Tout actionnaire a sa responsabilité, on se limite chez Phitrust à un univers plutôt français, sociétés du CAC 40, en ayant cette activité que certains qualifient d’activisme responsable. Nous avons un dialogue avec les responsables et si l’on n’est pas d’accord on dépose des résolutions. Sur la loi Florange, sur le principe « one share one vote », nous y sommes attachés. Benoit de Juvigny le soulignait, c’est tout à fait injuste d’avoir changé la loi si rapidement.
On s’était levé de manière très pratique contre l’application de cette loi dans trois sociétés : Orange (question de principe, de respect de nos droits minoritaires), Vivendi (ça a été plus compliqué) et puis Accor. Sur Vivendi, on a vu Bolloré arriver, il avait 6% du capital, il monte à 15%, et a utilisé un certain nombre d’arguments, « moi je détiens une société de médias, des investisseurs sont avec moi ». C’était un problème pour les minoritaires car nous avions dû obtenir 51% des voix mais nous n’avions pas de majorité qualifiée. Il a eu le soutien d’institutionnels qui pourtant aiment le « one share one vote », et de fait Bolloré a pris le contrôle de Vivendi. Ce contre quoi nous nous élevons, c’est que pour les adeptes du « one share one vote » nous sommes lésés, il faut préciser le projet industriel en sus d’une bonne prime d’émission. Par ailleurs, comme cela avait été le cas sur Jinjiang / Accor, il fallait faire attention avec les droits de vote double car il était possible de passer sous contrôle d’un groupe chinois. Nous restons dans une optique de conseiller les dirigeants.
Les actions à droits de vote multiples peuvent-elles contribuer à l’attractivité de la place financière de Paris ?
Alain PIETRANCOSTA : J’ai écouté l’introduction de la seconde partie sur les actions à droits de vote multiples, selon moi il s’agit d’une question paramétrique mais non, c’est une différence de nature. Le droit de vote multiple n’existe pas encore. La distinction fondamentale, c’est qu’il s’agit d’une prérogative attachée à l’action et non pas à l’actionnaire, c’est donc du ressort de l’avantage de vote. L’avantage de vote est transférable avec l’action. C’est bien sûr une atteinte au principe « one share one vote ». L’avantage de vote attribué ab initio à un actionnaire pour des raisons intuitu personae, cela suppose une IPO avec différentes classes d’actions, une pour le porteur du projet, d’autres avec droit de vote limité. Cette atteinte portée à l’égalité de vote est-elle compensée par l’utilité du mécanisme pour le marché ?
On pensait que ce mécanisme « one share one vote » allait se généraliser, là on observe une ouverture des droits nationaux à cette possibilité, avec la faculté d’offrir ce mécanisme aux entreprises qui rentrent en bourse, au moment où on sollicite les investisseurs. Cela apparait comme étant avancé pour des raisons d’attractivité. Je note un certain nombre d’évolutions mais on ne revient pas véritablement sur le « one share one vote » à mon sens. Par exemple, en Italie, on a des droits de vote multiple réservés à une catégorie d’actionnaire car il a vu partir Fiat Chrysler à Amsterdam, qui est un précédent à l’adoption des droits de vote multiple. Ce mouvement en Chine est observable, on a basculement vers des systèmes de droit de vote multiple. En Angleterre il y a aussi changement réglementaire.
Aux US, dans le secteur de la tech, c’est important, tous ont des MCS (multiple class shares). 75% des sociétés cotées aux USA ont des MCS, il y a débat très nourri là-dessus. Quelles vertus sont prêtées au mécanisme ?
On dit que si ça n’existait pas, les entreprises ne rentreraient pas en bourse. Ça permet de défendre des visions personnelles de grands entrepreneurs qui peuvent développer des visions à long terme, et ça résout le dilemme du fondateur, celui de développer son entreprise sans perdre le contrôle, ce qui constitue aussi un moyen de défense anti-OPA. Aussi, cela change la manière dont on définit le contrôle étranger, et c’est un mécanisme optionnel. Cela suppose une négociation avec des investisseurs avant l’introduction en Bourse et nécessite des mécanismes de garde-fou. Enfin cela repose sur la déconnexion entre le vote et les droits de propriété ; les institutionnels n’aiment pas ce mécanisme pour l’instant et les gérants d’indices ne sont pas d’accords sur leur utilisation, et les régulateurs ne se prononcent pas vraiment sur la question.
Mais à la lecture des articles aux US, nous assistons à un déplacement du débat du principe vers le mode d’encadrement. On imagine ses limites bien entendu. Aujourd’hui en termes normatifs, nous avons des « sunset clauses », des clauses qui vont permettre de faire disparaître ce mécanisme de MCS. La majorité des entreprises qui rentrent en bourse aux US (60% d’entre elles) ont des sunset clauses. On a ce qu’on appelle des « fixed-times sunset provisions », entre 5 ans et 28 ans, et des « event-based sunset clauses ». On n’est plus sur le type optimal de la « sunset clause », mais il n’y a pas de réponse standardisée et uniforme sur la question, les aménagements qui existent restent dans le cadre contractuel et doivent être acceptés par les investisseurs.
Benoît DE JUVIGNY : De mon point de vue je sais que l’AMF est plutôt dans le camp du « one share one vote », car le droit de vote est un droit lié à la qualité de l’actionnaire. Aujourd’hui, dans un cadre de concurrence internationale, avec ce qui se passe ailleurs, le game changer serait ce qu’il se passe au Royaume Uni, en matière de gouvernance, c’était la patrie du « one share one vote ». Le plus important aujourd’hui, c’est de renforcer les incitations pour œuvrer dans la lutte contre le changement climatique, le débat était légitime et l’AMF soutient le HCJP dans sa démarche de mettre en avant les avantages et inconvénients afin de savoir si ces évolutions sont pertinentes.
Les Pays-Bas ont le vent en poupe sur le listing, autant le débat se pose sur les IPO, mais je ne suis pas sûr de savoir comment ça fonctionnerait autrement. Il faut toutefois faire attention, à une chose, ce sont les indices, avec le droit des sociétés, droit boursier, les règles de marché, on peut passer par des petits mais pour les fournisseurs d’indices, cela va compter. Le dernier débat, à mon sens concerne le non coté, qui prend de l’ampleur, on a un étiolement de la cote depuis un moment avec une tendance baissière depuis une dizaine d’années, avec une grosse concurrence du non coté, donc le débat portant sur le renforcement de l’attractivité de la place de Paris est légitime.
Alain PIETRANCOSTA : D’autant plus qu’avec la loi Pacte on a fait sauter le tabou du « one share one vote » sur le non coté, donc on peut faire du vote multiple sur le non coté. Le non coté reste le noyau dur et sur le coté, la mesure de sortie c’est l’OPR (l’offre publique de retrait).
Angus MILNE[2] : Le listing à Londres est encadré par le FCA, le régulateur. On a actuellement très peu d’IPO à Londres en 2021, c’est le contexte dans lequel nous sommes. Même au niveau du marché primaire, les MCS étaient autorisés, jusqu’à ce que les investisseurs institutionnels disent, « supprimez-les, on n’en veut pas », arrêtons cela ; ça a pris près de 20-30 ans avant que l’on change de paradigme sur ce sujet. Je ne sais pas ce que la FCA va entreprendre sur ce sujet, ils doivent publier donc je ne veux pas trop m’avancer là-dessus, mais ils vont s’occuper de ce sujet des MCS et aussi sur la proportion des droits de votes. Il faut peut-être mettre une limite là-dessus. Limiter le recours aux « sunset clauses » à 5 ans. 5 ans c’est un peu arbitraire, car aux US, ou nous avons beaucoup de MCS, on manque d’attractivité de marché à cause aussi des niveaux importants de MCS. La limite de temps devrait être adaptée à mon sens selon l’entreprise en question. Il faut aussi prendre en compte la nature spéciale de l’entreprise. La zone que le UK cherche à encadrer le sera je pense.
Denis BRANCHE : Juste une remarque sur le principe, je suis un peu réticent sur cette question des MCS, mais ces mesures-là ne sont-elles pas comme loi Florange ? Et celles sur les OPA, ces mesures ne sont-elles pas destinées à ne favoriser que le management de la société ? Moi je ne suis pas favorable de payer la protection d’un manager, mais par exemple, pour une entreprise comme Teleperformance, qui est service de tech, où l’on a une réduction de la participation du manager, qui n’est plus qu’à 4%, cela n’empêche pas d’avoir une boîte très valorisée.
Benoit DE JUVIGNY : Ce que soulève le problème des MCS, c’est aussi le sujet des rémunérations du dirigeant, qui peut conduire à des situations abusives avec des blocages.
Doit-on anticiper la fin des structures sociétaires pyramidales et des sociétés en commandite par actions ?
(Question non abordée)
[1] Traduction libre
[2] Traduction libre
Table ronde 3 : Quel est le rôle de l’Etat dans les opérations de fusions-acquisitions et la gouvernance ?
Sophie VERMEILLE, Fondatrice de D&C : Bonjour à tous, merci de rester avec nous pour ce troisième panel où j’ai le plaisir et l’honneur d’accueillir Martin Vial, commissaire à l’APE ; Hubert Preschez, associé chez Messier & Associés ; Pierre-Olivier Savoie, confrère québécois qui travaille entre Paris et Montréal ; et enfin, qui est venue de loin ; Mariana Pargendler, Global Professor of Law NYU, São Paulo et dont j’ai découvert la recherche , elle a co-authoré un livre que je recommande à mes étudiants, qui est « Anatomy of Corporate Law: A Comparative and Functional Approach », une manière d’enseigner le droit des sociétés de manière différente et avec un grand professeur à Oxford, John Armour.
La question : pourquoi une société qui prend des participations minoritaires dans les sociétés contrôlées par l’État fait face à des challenges ? On a des comparaisons de mondes, d’expériences, et des personnes qui font donc là l’étude des sociétés détenues par l’État. Voilà encore un sujet d’aujourd’hui de nationalisme et ce qui m’a énormément frappé dans la recherche de Mariana, c’est son extrême connaissance de ce que nous vivons en France et avec son regard de professeur brésilien qui vit dans une économie qui par certains côtés est similaire à la nôtre avec une grande présence de l’État et avec beaucoup d’actionnaires de contrôle, une grande concentration comme en France ; elle un regard sur notre pays et a des connaissances sur l’historique du droit français et du protectionnisme qui m’ont fascinées. On est vraiment content que vous soyez avec nous et on va vous laisser découvrir sa présentation.
Intervention :
- Mariana Pargendler, Global Professor of Law NYU, São Paulo
Présentation d’article : The Grip of Nationalism on Corporate Law
Merci beaucoup Sophie de m’avoir donné l’opportunité de présenter ma recherche. La prochaine fois, je donnerai ma conférence en français, mais aujourd’hui je parle en anglais et je vais vous présenter ma recherche « The grip of nationalism on corporate law » (L’empire du nationalisme sur le droit des sociétés).
Le sujet central qui occupe les universitaires sur le droit comparatif de la gouvernance, c’est comment la globalisation affecte la gouvernance ? On a deux camps d’universitaires, d’une part, certains adhèrent à l’idée selon laquelle il y a une convergence des systèmes légaux vers un modèle d’actionnariat unifié pro-concurrence et efficient. D’autres ont pensé que cela ne pouvait pas être possible car il reste différents systèmes politiques.
Dans ce papier, je montre que l’on survole beaucoup trop le rôle des politiques nationales en la matière et les arrangements en matière de nationalisme économique. Il y a une influence nationale, elle est indéniable :
2 formes de nationalismes corporate :
- Le nationalisme de contrôle (contrôle domestique) et
- le nationalisme légal (loi domestique).
Je vais m’intéresser au contrôle.
En guise d’exemples, on a l’Etat propriétaire en Norvège et au Brésil afin d’assurer un contrôle domestique. Il y a tellement de législations qui ont porté le nom d’entreprises ayant fait l’objet d’offres publiques étrangères, cela illustre le rôle important de l’Etat dans le contrôle de l’Etat sur les opérations étrangères. C’est le cas de Lactalis en Italie.
La France est également un exemple avec la loi Florange suivant l’OPA d’Arcelor Mittal ainsi que les défenses anti OPA prévues par le droit en fournissent aussi. Les droits de consultation des salariés, les actions à droits de vote liés à la permanence de l’actionnariat au capital. Le mouvement procède d’une influence croissante des investisseurs étrangers au capital de grandes entreprises nationales également.
L’Allemagne, n’a pas été épargnée par cette tendance, avec une libéralisation en 1990 jusqu’à la position sur les « takeover », et avec un système de codétermination. La codétermination s’applique à des firmes uniquement basées en Allemagne et on note une opposition à la directive européenne OPA.
Au Royaume Uni : un pays comparativement plus ouvert en matière de législation aux OPA. Mais des signes de recul, des réformes prenant en compte les parties prenantes avec le Takeover Panel actuellement. Pourtant ce panel a décidé de prendre des mesures un peu moins avantageuses pour les parties désirant faire des OPA.
Au niveau du droit européen : on note un effort multilatéral de promouvoir l’intégration économique via le droit des entreprises, mais des succès limités avec la CJUE : (jurisprudence Centros) une jurisprudence centrale qui permet aux entreprises de choisir leur Etat d’incorporation, et une limitation sur les actions préférentielles. Mais c’est surtout la directive OPA, qui fut un échec, avec beaucoup de provisions légales qui ont été optionnelles ce qui a donné lieu à plus de protectionnisme après la directive.
Aux USA : la première banque et la deuxième banque avait des inquiétudes sur les investisseurs étrangers. Il y a un droit des Etats en matière de droit des entreprises. D’une manière très protectionniste, les Etats répondaient en promouvant des législations anti-OPA. Un étatisme important contre les investisseurs hors de chaque Etat fédéré a été relevé, ce qui a conduit les Etats à adopter des lois anti-OPA. Puis le Williams Act de 1968 est une législation fédérale anti-OPA.
Selon moi, il s’agit d’un déficit politique car les étrangers ne votent pas, il y a une alliance forte des forces domestiques en présence (actionnaires de référence/de contrôle, managers et travailleurs), et l’usage du droit des entreprises pour créer un protectionnisme furtif. Les théories existantes disent que les pratiques de gouvernance des sociétés se concentrent seulement sur les coûts d’agence, et pas sur l’intégration économique, mais plus sur le développement local ou la sécurité nationale comme c’est le cas de la politique, qui se préoccupe aussi des managers, des actionnaires et des travailleurs. Nous avons entendu ce genre de choses dans les actualités.
L’emprise du nationalisme montre qu’il se situe par-delà les coûts d’agence au niveau de l’entreprise, et se préoccupe par-delà les conséquences au niveau de la firme, du sentiment national et des intérêts de plusieurs segments de la population.
Le futur de la gouvernance d’entreprise offre une possibilité de contrecoup, contre les actionnaires car s’ils peuvent être une force au niveau de l’entreprise, il n’y pas de convergence ni de divergences, car une dominance des investisseurs étrangers peut mener à des réformes n’allant pas dans le sens des actionnaires. La France a beaucoup d’investisseurs dans les capitalisations boursières du CAC 40. Mais cela crée un rejet nationaliste aussi.
En conclusion, il y a des preuves empiriques montrant les effets des investissements directs étrangers, le sentiment est mixte, ça dépend des industries mais l’emprise du nationalisme est important et il faut y prêter attention.
Sophie VERMEILLE : Pouvez-vous nous indiquer s’il y des signes au Brésil démontrant qu’un environnement légal plus pro-investissements étrangers est en marche ? Avez-vous des hedge funds au Brésil ?
Mariana PARGENDLER : Je pense que c’est une question difficile à résoudre, il y a un vrai conflit, je dirais même une bataille pour transformer le droit des entreprises au Brésil, il y a des intérêts dans le statu quo, avec le rôle important de l’Etat et malheureusement, cela prendra beaucoup de temps. Quelques raisons amènent cependant à entretenir un peu d’espoir. Grâce à des taux d’intérêt bas, de plus en plus de particuliers investissent en Bourse, ça peut être intéressant avec un taux d’épargne important, j’espère que cela va s’améliorer en ce sens pour favoriser l’investissement étranger. Les ONG s’intéressent à ces problématiques et cela prendra du temps mais cela va dans le bon sens. Il y a des hedge funds au Brésil, ils n’ont pas le même poids car on en est pas encore là. Mais il faut des investisseurs institutionnels pour pousser pour la réforme.
Dans les années 1990, le marché boursier a plongé, ils ont voulu abolir les protections des minoritaires, toutes les firmes voulaient lever des fonds, mais dans les années 2000, il y a eu beaucoup de compagnies cotées au Brésil, une poussée vers le principe « one share one vote » aussi est en cours, mais au Brésil il y a des facteurs macroéconomiques instables qui font que ça ne crée pas un terreau très fertile pour amener de meilleurs systèmes de gouvernance, c’est un facteur à prendre en compte.
Intervenants :
- Martin Vial, Commissaire, Agence des Participations de l’Etat
- Hubert Preschez, Associé, Messier & Associés
- Pierre-Olivier Savoie, Cofondateur de Savoie Laporte (Paris, Montréal, Toronto)
- Sophie Vermeille, Fondatrice de D&C
Sophie VERMEILLE : Merci à tous, on va du coup lancer notre panel sur deux grands sujets.
Le premier sujet : L’Etat actionnaire et dans quelle mesure l’Etat actionnaire impacte la gouvernance des entreprises dans lequel l’Etat a une participation, aussi plus généralement les entreprises françaises quelles qu’elles soient mais en tout cas cotées.
On a un deuxième grand sujet qui est en fait de l’impact de l’Etat dans les opérations de M&A, à la fois dans les opérations de M&A dans lequel il détient une participation minoritaire/majoritaire mais aussi dans les opérations de M&A dans lequel l’Etat a une influence, en tout cas dans lesquelles il peut jouer.
Je vais commencer en laissant la parole à Monsieur le commissaire, pour qu’il nous donne un peu sa vision de l’Etat actionnaire. Quand on prend le dernier rapport de l’Agence des participations de l’Etat qui vient d’être publié, on peut voir que l’objectif en fait de l’APE c’est 1) d’incarner les intérêts patrimoniaux de l’Etat, 2) promouvoir le rôle d’actionnaire avisé de l’Etat dans les instances de gouvernance des entreprises 3) gérer les participations, gérer le portefeuille de participation dans les opérations d’acquisition et 4) encourager l’exemplarité en matière de rémunération, d’égalité et de responsabilité sociale et environnementale. Voilà. Un vaste programme, et du coup je voudrais que Monsieur le commissaire, vous nous donniez votre vision du rôle de l’Etat actionnaire. Comment vous, vous arrivez en fait à gérer la question cruciale du conflit d’intérêts dans lequel l’Etat peut se trouver ?
Si vous pouvez aussi nous expliquer comment vous mettez en œuvre les règles ; comment vous imposez des règles de gouvernance à travers les entreprises et peut-être aussi la question subsidiaire de qualité très vite abordée qui était rappelée par Mariana d’ailleurs sur la question des golden shares aujourd’hui, change-t-elle les choses au regard des règles européennes ?
Martin VIAL, Commissaire, Agence des participations de l’Etat : Je vous remercie, merci beaucoup. Merci à vous, je voudrais vous remercier Droit et Croissance dont je trouve extrêmement bien choisi les thématiques parce que nous utilisons beaucoup comme vous le savez de lawyers justement pour demander des conseils, ils nous accompagnent beaucoup avec une vision pour trouver des solutions.
J’ai, je le sais un rôle un peu ingrat parce que dans la présentation de Mariana Pargendler que je viens d’entendre on entend parler du rôle de l’Etat actionnaire dans le fonctionnement du marché qui est contradictoire avec le rôle des actionnaires privés. Donc je voudrais rassurer Madame Pargendler pour montrer que ce n’est pas le cas tout en assumant totalement le rôle de l’Etat actionnaire. C’est une question complexe parce que l’Etat est souvent vilipendé pour les raisons qui viennent d’entre évoquées. La France est un pays dans lequel il y a à la fois une très grande attraction pour les investisseurs pour l’activité et il y a une lutte en même temps avec les citoyens qui jugent parfois l’intervention de l’Etat de manière critique avec répulsion et en économie, j’observe qu’il est souvent critiqué.
Je voudrais revenir sur la crise du Covid que nous venons de vivre et l’intervention massive des Etats européens – pas seulement l’Etat Français, même l’Etat fédéral américain ou autre continent – l’intervention massive s’inscrit non seulement en termes d’aides à l’emploi ; avec la protection de l’économie, mais aussi sur le versant aide actionnariale. Comme Olivier Guersent, avec le cadre temporaire de suspension des règles de la concurrence, l’évoquait, ils ont rapidement mis en place en quelques jours, quelques dizaines de jours des mesures de crise, qui n’ont pas donné lieu à une levée de boucliers, me semble-t-il, dans ces circonstances exceptionnelles. Cela prouve que l’Etat peut jouer un rôle protecteur ou plus dans une crise aussi systémique que celle que nous avons vécu.
Cette question est complexe parce qu’en fait il y a une vision de l’Etat actionnaire qui, à mon sens, est sur-interprétée, et je voudrais l’exprimer avec trois convictions.
La première, les éléments qui sont cités par l’étude de Madame Pargendler, ne peuvent pas être repris tels quels dans le cas de la France puisqu’à la fois le poids de l’Etat dans l’économie, dans les entreprises françaises, a beaucoup baissé et puis le rôle de l’Etat actionnaire a été clarifié depuis 2004.
Deuxième conviction, c’est que, précisément, avec la mise en place, en particulier, de l’APE depuis 2004, l’Etat actionnaire a banalisé son intervention pour la gouvernance des entreprises pour devenir un actionnaire représenté dans le conseil d’administration, mais pourrait de plus en plus évoluer dans un mode de fonctionnement de gouvernance normalisée.
Troisième conviction, c’est que l’évolution mondiale des exigences du citoyen en matière environnementale et en matière d’éthique sur la compliance, pour reprendre des termes de gouvernance, ont cristallisé le débat entre l’intérêt de l’actionnaire privé et public sur l’entreprise et l’on donne à l’Etat un poids aujourd’hui beaucoup plus important par rapport à l’intérêt social de l’entreprise pour être illustré à travers la loi française, depuis quelques années.
Pour revenir sur le rôle de l’Etat actionnaire avec ce qui s’est passé depuis longtemps avec la première vague de libéralisation en 1982, l’Etat a considérablement réduit son influence. Il représentait au sens large (je prends aussi de 50 % APE et 50 % BPI France, je prends la Caisse des Dépôts elle-même puis je rajoute l’IFP qui avait de très hautes participations historiquement qui sont beaucoup moins importantes aujourd’hui) cet Etat a représenté au sens large une bonne partie de l’actionnariat dans les capitalisations boursières pour se poursuivre en France dans les années 80 et aujourd’hui en 2017, les dernières données statistiques sur Euronext :
L’Etat au sens large détenait un peu moins de 3 % du CAC 40 et environ 4 % du SBF 120, ici je me réfère uniquement aux participations de l’APE. Sur le périmètre plus étroit de l’Etat, aujourd’hui nous représentons 1,3 % du CAC 40 et environ un peu plus de 2 % du SBF 120, donc on a un passage d’une participation très forte à une très forte décrue à travers la privatisation engagée en 1986 puis en 1993 et depuis 1993 cette tendance a cessé de s’accentuer par les opérations de privatisation. Depuis 2015, nous avons vendu 15 milliards d’actifs soit sous forme de cession de blocs sur le marché boursier soit sous forme de privatisation d’activités non cotées comme les aéroports de province, Nice, Lyon, soit sous forme de privatisation avec cotation comme pour la FDJ ; donc le poids de l’Etat dans l’économie s’est considérablement réduit. De là on a effectivement des données qu’on trouve dans un certain nombre de pays, soit des pays en développement, ou des pays comme la Chine, mais qui sont dans une situation très particulière en termes de détention participation par l’Etat actionnaire.
Le deuxième constat c’est que, depuis début 2004, l’Etat clarifie son rôle d’intervention dans l’économie en créant l’APE aujourd’hui parce que l’on est en 2004, le gouvernement de l’époque a voulu vraiment identifier une entité de l’Etat dans laquelle est isolé le rôle de gestion du patrimoine financier de l’Etat, par rapport aux autres rôles de l’Etat acheteur, l’Etat régulateur, évidemment tous ces rôles ont été non pas éliminés mais ne sont pas plus incarnés par les mêmes services ou personnes dans la gouvernance des entreprises.
La première conséquence c’est que l’Etat a donné une autonomie avec des moyens particuliers avec la création de services de compétence nationale en 2004, qui ont isolé l’APE des ministères de tutelle, de régulation, de transport, de l’énergie, de la défense, de la santé, de la culture. Cette identification a été une clarification majeure. Et dans cette identification, elle a été renforcée en 2010 car en 2010 le service était encore sous la responsabilité de la direction générale du Trésor depuis 2010 parce que sur l’APE est totalement autonome. Car aujourd’hui, je rapporte directement au ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance.
Deuxième caractéristique sur cette période, c’est que nous avons clarifié une doctrine, là aussi cette doctrine d’investissement bâtie dans les années 2000, première tentative vertueuse, mais elle avait plutôt tendance à expliquer le passé et le présent, plutôt que d’en faire une doctrine opérationnelle pour le futur. C’est la raison pour laquelle, en 2017, à l’occasion de l’élection de l’élection du président de la République et de la nouvelle législature, nous avons proposé une simplification de la doctrine d’investissement. Dans cette simplification, clarification, on a exprimé trois idées simples.
- L’Etat actionnaire en France reste investi ou investit dans les sociétés relevant d’un cœur de souveraineté nationale, c’est-à-dire la défense nationale, et du monde du nucléaire civil et militaire parce que le nucléaire civil en France fait partie de cette activité et a un lien avec nucléaire militaire.
- Deuxième ligne directrice, c’est de rester investi dans des entreprises de services publics pour lesquelles on considère que la réglementation ne suffit pas à s’assurer que ces entreprises exerceraient ces missions de service public sans participation de l’Etat. Cela prouve que pour un bloc de service public, la présence de l’Etat est justifiée.
- Une troisième directrice, malheureusement, il faut bien que l’Etat intervienne de temps en temps pour secourir des entreprises dont la faillite ou la disparition aurait un impact systémique très préjudiciable. Un secteur particulier, historiquement on parle du sauvetage de Dexia, avec un risque après 2008 de risque systémique majeur, mais pas seulement pour le secteur bancaire : aussi le secteur particulier des collectivités locales, comme c’était le cas plus récemment avec PSA, entreprise qui n’a jamais été nationalisée et qui s’est retrouvée en 2014 dans une situation extrêmement difficile et l’Etat est monté au capital aux côtés de la famille Peugeot et du constructeur chinois Dongfeng, parce que la disparition de PSA aurait été catastrophique pour la filière automobile française, pas seulement pour les actionnaires de PSA, mais aussi les sous-traitants.
Donc c’est la raison pour laquelle nous avons clarifié cette doctrine autour de ces trois axes de clarification, et aussi on a aussi clarifié notre rôle par rapport à BPI et la Caisse des Dépôts. BPI depuis 2012 intervient avec une contribution toujours minoritaire tout en apportant de la new money aussi via des partenariats avec d’autres investisseurs et toujours avec une perspective de rotation du portefeuille qui est quelque chose qui n’est pas dans la doctrine d’investissement de l’Etat mais qui ne saurait rester car on ne peut pas rester éternellement dans une participation si ce n’est pas nécessaire.
La clarification est aussi liée au fait que la mission de BPI a été de booster la participation dans le private equity, pour que la France soit boostée dans le développement de technologies numériques, les licornes, les technologies pour être à terme totalement autonome par rapport à l’Etat. Il faut clarifier aussi ce contour de la mission pour l’aménagement du territoire sur les infrastructures, c’est-à-dire l’immobilier, tout ce qui tourne autour des infrastructures aussi de loisirs, de l’aménagement et du financement des collectivités locales, cette clarification à la fois de l’Etat actionnaire et de cette doctrine d’investissement.
Ce qui s’est passé dans cette question, le deuxième constat, c’est que nos modes d’intervention se sont beaucoup tournés vers l’entreprise, et dans l’actionnariat, ça s’est beaucoup aussi banalisé par rapport à des actionnaires lambda.
C’est qui a été fait au travers d’un texte de loi pris sous forme d’ordonnance en 2014 qui a modifié très sensiblement notre présence dans les conseils d’administration et on a très vite vu cette évolution. Cette banalisation, je voudrais l’illustrer : l’Etat est considéré au sein du conseil d’administration, représenté comme un administrateur personne morale assimilé, et on désigne un représentant nommé par un acte ministériel, généralement moi-même par délégation, donc un seul administrateur représentant l’État, qui représente et est représentant permanent de l’État administrateur. Et puis il y a des administrateurs qui sont en mission dans les contingents de l’État depuis l’ordonnance de 2014. Ces administrateurs sont dorénavant nommés en assemblée générale.
Troisièmement, ces administrateurs ne sont plus des agents publics comme auparavant, désormais nous allons chercher systématiquement des managers, c’est-à-dire des gens qui ont des expériences de comités exécutifs qui apportent aux entreprises leur propre valeur ajoutée en tant que manager. Nous avons beaucoup, à cet égard aussi, professionnalisé nos modes de recrutements en ayant systématiquement recours à des chasseurs de tête pour les dirigeants publics et pour les administrateurs en assemblée générale, c’est quelque chose que nous avons mis en place et qui devient systématique, on a beaucoup mûri dans la gouvernance, dans tous les comités quasiment : risque, gouvernance, rémunération, stratégique, puis on a mûri aussi par le recrutement.
A l’APE les agents sont dorénavant des cadres qui ont une expérience mixte, en entreprise et dans l’administration qui ont au moins 10 ans expérience donc ; par rapport à des fonds de private equity, on a dorénavant une population de plus en plus professionnalisée en ayant une expérience d’entreprise.
Enfin, un dernier point qui est très important sur cette normalisation / banalisation, c’est la politique de dividendes. Historiquement, nous étions accusés de prélever de façon rapace les dividendes des entreprises au détriment de leur santé financière. On a beaucoup réfléchi, à juste titre d’ailleurs, à travers notre propre politique parce que en tant qu’actionnaire, on est évidemment demandeur d’un rendement élevé mais en tant qu’actionnaire patient de et de long terme on veut s’assurer que les politiques de dividendes sont les politiques soutenables financièrement par l’entreprise et dans la durée. Par conséquent, là aussi, on a aligné notre propre position sur dividendes avec les critères qui sont les critères de benchmark sectoriel. Une entreprise donnée doit avoir la capacité de distribuer du cash, il ne faut donc pas s’embêter avec des choses basiques qui ont été là aussi normalisées depuis 2015.
Tout ceci pour dire que nous sommes dans le mode de gouvernance banalisé/normalisé.
Cet alignement est renforcé par un phénomène qui dépend des exigences en matière environnementale et d’éthique RSE, des actions de citoyens, des actionnaires et les entreprises dans lesquelles nous sommes présents et connus de tous avec la prise en compte de l’intérêt des parties prenantes dans l’intérêt social des entreprises, fait que notre rôle dans la gouvernance est encore plus aisé aujourd’hui qu’il ne l’était dans le passé.
Je voudrais l’illustrer à travers deux événements qui se produisent et qui se sont produits en France : le déploiement de la raison d’être pour les entreprises françaises ; et deuxièmement la mise en place du droit de vote double avec une vision peut-être un peu différente de ce qui a été exposé.
Sur l’instauration légale de la raison d’être mise en place à l’occasion de la Loi Pacte, pas obligatoire mais encadrée finalement, cette « raison d’être », ça résulte d’une évolution simple qui est que l’intérêt social des entreprises enrichit les modes d’intervention de l’intérêt des actionnaires et on l’observe sous la pression des proxys des grands fonds d’investissements internationaux mondiaux. On l’observe à travers le mouvement sur le « say on climate » et finalement les représentants des actionnaires que sont les grands fonds d’investissements internationaux et proxys demandent à la gouvernance de prendre en compte certains éléments touchant les parties prenantes RSE/climat. Le « say on climate » est quelque chose de très intéressant. Ce débat, pourquoi existe-t-il ? Parce que le « say on climate » a du monde autour de lui qui fait parler les proxys et les grands fonds internationaux.
Cela traduit de facto le fait que l’actionnaire va se préoccuper dans l’appréciation de la performance de l’entreprise ; par les comptes qu’il demande à la gouvernance dans le cadre du « say on climate » ; de l’entreprise sur ce point.
Le fait que l’entreprise a bien pris en compte les externalités positives et négatives en matière de politique environnementale, ce qui est un shift très important puisqu’effectivement ça veut dire que la performance de l’entreprise en intégrant ces externalités s’inscrit dans une vision qui est une vision de création de valeur sur le long terme, et cela passe par le fait que l’entreprise respecte un certain nombre d’obligations environnementales. Ça peut paraître banal simplement dit comme ça, mais tout ceci passe au niveau de l’assemblée générale des actionnaires et non plus seulement dans la gouvernance, c’est-à-dire par le respect de l’intérêt social des entreprises dans ce cadre, on prend donc en compte l’intérêt des parties prenantes et puis on se rapproche de plus en plus des autres acteurs.
Cette gouvernance se rapproche de plus en plus de nos préoccupations et la loi Pacte cherche à traduire ceci à travers la raison d’être. Aujourd’hui, si je prends les entreprises du portefeuille de l’APE sur les 40 entités éligibles, 22 ont adopté une raison d’être dans le portefeuille. Deux tiers d’entre elles l’ont inscrite dans leurs statuts.
En France, mon deuxième exemple concerne la loi Florange, qui est présentée comme une double tare parce que ce seraient des dispositions très franchouillardes pour défendre les intérêts économiques français et la deuxième tare c’est que cela aurait été fait pour servir les intérêts de l’État actionnaire.
Je ne partage pas cette vision, sur le fait que ce soit une disposition très française, pas de fondement à cette affirmation parce que lorsqu’on regarde le Corporate Governance Factbook de l’OCDE de cette année, on constate que les droits de vote multiple sont pratiqués dans 44 % des pays qui sont étudiés dans cette étude de l’OCDE. Donc on le trouve justement aux États-Unis et on le trouve en premier lieu chez les GAFA avec les droits de vote multiple exorbitants des fondateurs.
Dans l’Union Européenne, je rappelle que le dispositif de loyalty shares pratiquées a été adopté très récemment en Espagne, sous le contrôle de des spécialistes, mais aussi en Belgique, en Italie et en fait quand on regarde ce qui se passe sur le marché avec la pression concurrentielle des grands marchés financiers on voit que y compris en Asie ça se fait. Maintenant, cette question est ouverte, Il n’y a pas de singularité française me semble-t-il, de la loi Florange, mais il y a le fait qu’elle est inscrite de façon plus explicite.
Est-ce que cela profite aux entreprises publiques ? Dans cette excellente étude du deuxième panel, on montre que sur l’étude de la loi Florange, il y a 318 sociétés sur 342 sociétés cotées sur Euronext qui ont adopté des droits de vote double alors qu’un très grand nombre d’entre elles, étaient déjà utilisatrices de droits de vote double avant. Cela montre à mon sens que la réforme de Florange n’a rien changé.
Ce constat existe au moment où l’on se pose la question, je regarde bien, faut-il instaurer de nouveaux droits suite à la loi Florange ? Je pense en particulier à Safran, je pense en particulier à Engie depuis 2015 où nous avons perdu une position très importante, plus important encore je pense chez Safran qui fait que l’existence des droits de vote double nous a fait perdre la minorité de blocage et donc des positions qui de toute façon pouvaient apparaître comme des positions extrêmement importantes. Je ne crois pas non plus que Florange, ait été créée pour avantager spécialement l’État. Dans certains cas ça a sécurisé notre participation, et ça nous a permis notre simplification, dans le cadre de l’évolution de notre doctrine d’investissement.
Je voudrais conclure pour dire qu’évidemment le rôle de l’Etat est un rôle un peu ingrat mais je suis encore très content de continuer de travailler avec toute l’équipe des 55 personnes de l’APE. Nous sommes très contents avec ceux qui ont la passion du métier, même si nous sommes encore critiqués. Je pense que la normalisation de notre rôle est une réalité incontournable depuis quelques années et deuxièmement en même temps, on s’interroge sur notre propre domaine d’intervention future.
Pourquoi ? Parce que la crise du Covid, évoquée ce matin, je crois, a montré que l’Europe est très fragile en termes d’approvisionnements stratégiques, dans le domaine des produits médicaux d’approvisionnement de produits pour la réanimation et on l’a vu maintenant sur les produits stratégiques dans les filières batteries, et sur transition énergétique. La question de cette indépendance énergétique et stratégique se pose pour les pays européens, et le rôle d’une intervention des Etats pour pouvoir faire en sorte que l’Europe réussisse la transition écologique et la transition numérique et technologique, suppose que le cadre du montant des investissements qui sont mis en œuvre puisse être de l’épargne privé. Simplement, dans certains cas on est obligé d’intervenir comme déclencheur dans certaines filières, l’Etat actionnaire aura peut-être un rôle à jouer dans ce domaine.
Je précise que nous notre souhait c’est que l’Etat actionnaire intervienne en dernier ressort pour tout ce qui peut être utilisé dans tous les leviers d’investissement public.
Sophie VERMEILLE : L’APE dit dans son rapport, que vous avez une participation dans 11 entreprises cotées avec une capitalisation boursière de 70 milliards. Hubert, j’aimerais bien que vous expliquiez en tant que banquier d’affaires par définition, vu la place de l’État actionnaire dans l’économie française comment d’une part vous le percevez – c’est intéressant d’avoir le point de vue du privé – et aussi qu’est-ce que vous dites à vos clients quand quelque part les transactions peuvent être influencées par les actionnaires publics ? Il y a une certaine opération récente, Renault-PSA, où la fusion a été avortée. Il y a eu évidemment récemment Veolia, Suez et l’Etat à travers Engie et donc c’est assez intéressant de savoir ce que pensent les acteurs du marché et comment du coup, comment apprivoiser l’Etat qui joue un rôle central dans ces opérations ?
Hubert PRESCHEZ, Associé, Messier & Associés : Parfait, je vais essayer de répondre à toutes ces questions.
Je trouve qu’il y a eu une professionnalisation de l’APE et des praticiens du Trésor avec des professionnels de qualité et la doctrine de l’investisseur avisé. Je pense qu’on a la chance d’avoir à l’APE un service de qualité, moi je pense que j’ai rarement vu une équipe travaillant pour le compte de l’Etat autant sensibilisée sur tous ces sujets afin de voir ce qui pourrait peut-être changer avant de parler des difficultés rencontrées, car on a la chance d’avoir un formidable outil qui est une personnalité visible et compétente, un interlocuteur naturel sur toutes les questions qui peuvent concerner l’Etat et surtout quand on est en dialogue soit avec le ministre soit avec l’Etat. On voit actuellement un fil clair au sein de l’Etat sur les dossiers économiques, après on peut avoir des nuances selon les personnes politiques.
Le deuxième point sur lequel je voulais insister repose sur le fait que l’Etat présente un caractère polycéphale, régulateur, gardien des intérêts souverains dans des proportions différentes. Du côté du régulateur, je me trouve dans le domaine financier dans beaucoup d’opérations où l’on doit obtenir une autorisation explicite.
Je me souviens ce jour sur le dossier des AGF, l’ancêtre de l’ACPR avait un traitement différencié pour l’offre de Generali et l’offre d’Allianz pour vérifier les ratios de solvabilité. Aujourd’hui ce serait complètement impensable de garder cette grille de lecture pour deux entreprises, si différentes soient elles, entrent deux acteurs. Je trouve qu’on a des autorités de régulation professionnellement de grande qualité, qui pour les acteurs étrangers sont assez rassurantes et nous permettent de dire à nos clients qu’il y’aura un « level playing field ». Sur l’AMF on n’en a pas parlé dans le panel de discussion à ce sujet avec Philippe Varin qui parlait de ses expériences en France. Je pense que c’est une autorité de qualité qui sait ce qu’est le professionnel de marché. Aujourd’hui même si je pense qu’elle est de qualité, c’est l’occasion de me rappeler du dossier Club Méditerranée, extrêmement long : je pense que sur le problème de la compétence on avait des instructions de 18 mois sur un dossier. Elle œuvre pour que le marché soit efficace et le pouvoir politique est assez rapide pour prendre des décisions. Mais un des domaines où cela est un peu plus compliqué, et il me paraît extrêmement légitime, je comprends la position de l’Etat français de vouloir défendre un certain nombre de sujets de souveraineté qui a toujours existé et maintenant revendiquée par beaucoup plus d’Etats dans le domaine soit de la défense soit du nucléaire civil. On comprend ces sujets de souveraineté mais l’extension de tout ce qui peut relever de la loi Florange, l’extension du domaine de juge de l’activité stratégique, agroalimentaire, exemple avec Carrefour, je pense que c’est plus inquiétant.
Benoît de Juvigny parlait du fait qu’il n’était pas favorable aux offres hostiles, mais que cela permettait de faire pression pour assurer un style de bonne gouvernance pour tout le monde. L’extension très importante potentielle de la loi qui se fait au détriment de la visibilité du marché, la possibilité de sanction en cas de mauvaise gouvernance sont illustrées par deux exemples.
Clairement le dossier Couche-Tard / Carrefour, j’en parle librement car je ne travaillais pas dessus. On avait une transaction extérieure assez surprenante d’une entreprise canadienne dans les stations-service mais aussi dans la distribution alimentaire de Couche-Tard. C’est sans doute un dossier, ce n’est pas le cas ici, mais où on s’assure que le pouvoir politique en a entendu parler plus tôt. Mais on se doute que sur la réception de cette opération surprenante, les échanges sont politiques et franchement en tant que praticiens on ne perçoit pas du tout le sujet. Donc peut-être ça n’a pas donnée la meilleure image de la lecture que l’on peut avoir sur un tel dossier.
Un autre dossier : dossier avec pas seulement la prise de contrôle d’Alstom par Bombardier, la caisse des dépôts québécoise devait devenir actionnaire également. Je trouve que ça a été bien géré par l’appareil de l’Etat et d’un point de vue de la concurrence, avec beaucoup de scissions qui avaient été demandées pour rentrer dans les clous des règles de concurrence, je pense qu’il montre l’efficacité du système.
On a parlé de l’Etat régulateur, et l’Etat gardien intérêts souverains. Là-dessus, on a quand même intérêt à garder le flou, après le flou sert l’Etat, mais pas la place de Paris. Il y a deux garde-fous, notamment, la volonté de maintenir l’utilité de la place de Paris, je pense que grâce au lobbying de l’APE et la sensibilité du Trésor sur ce sujet (promouvoir l’activité de Paris) cela montrera quand même une sensibilité politique plus forte pour attirer les investisseurs.
Ça, ça me paraît d’autant plus important si l’on ne veut pas garder des sujets de communications qui peuvent ternir la place de Paris. Ce qui se joue en tant qu’actionnaires c’est que nous sommes amenés moi et mes équipes très souvent à entreprendre un dialogue (voire plus un monologue) avec l’APE, afin de présenter un dossier important, soit un dossier de l’opération de transfert auprès de l’APE afin de demander ce qu’on peut présenter, ce qui peut se faire ou pas se faire, et les équipes de Martin sont très peu causantes sur ce qu’on dit, donc on va essayer d’interpréter avec la perception ou le froncement de nez pour tenter de décortiquer un message et surtout pour savoir si c’est quelque chose qui est dans le faisable ou vraiment problématique.
Dans les problématiques relatives au rôle de l’Etat actionnaire, on observe notamment son rôle dans le support pour les grandes opérations. Un sujet qui n’est pas évident non plus c’est lorsque que souvent l’Etat actionnaire est avec deux acteurs dans le même secteur. On peut penser à PSA et Renault avec des arbitrages qui peuvent être faits avec des responsables différents qui s’occupent de ces lignes. J’ai échangé avec le commissaire au sujet du dossier Renault pour que l’opération ne se fasse finalement pas avec Fiat, je constate qu’elle a été créatrice de valeur pour Peugeot.
Je trouve qu’on a la chance d’avoir l’Etat présent, il est exigeant pour aider les sociétés françaises en difficulté et l’Etat, avant de remettre au pot, demande souvent un certain nombre d’aménagements et souhaite être réconforté sur le caractère soutenable des opérations de recapitalisation et de gestion. Toutes ces opérations ont en plus le « scrutiny » au niveau européen, ce qui pousse l’APE à être d’autant plus vigilante. Je pense que le niveau d’expertise en restructuration et en découpage différent pris ensemble in bonis n’avait rien à envier à l’expertise d’un banquier d’affaires et son expertise chevronnée. Tout semble fonctionner très bien. Je pense que d’un point de vue boursier, l’Etat a développé une bonne qualité de dialogue et une bonne connaissance en ce qu’il prend ses décisions en connaissance de cause. C’est important que le rôle de l’Etat soit lisible. Nous constatons beaucoup de progrès dans la visibilité dans les secteurs stratégiques alors que ce n’est pas là ou on brille le plus.
De plus, sur un autre aspect afin de parler des fonctions de l’Etat pour que le coté polycéphale de l’Etat ne soit pas tant un cerbère, c’est très important que chacune de ces têtes soit assez indépendante.
Sur cette volonté politique de pouvoir rapprocher, je suis très impressionné de l’AMF, les commentaires politiques, les commentaires du ministre, décision prise par aussi un souci de l’image pour la place de Paris. Dans tous les pays où il y a du protectionnisme, je pense que c’est important dans tous les moments où se passe du protectionnisme, il y a le fait de vouloir de s’assurer de la réciprocité, mais franchement on n’est pas plus exigeant que les États-Unis.
Sophie VERMEILLE : Je vais maintenant m’adresser à Pierre-Olivier Savoie en introduction. J’aimerais que tu me dises pourquoi je t’ai demandé de venir, car Pierre Olivier n’est pas avocat M&A, il fait de l’arbitrage et a participé à la rédaction d’un traité de libre-échange . Merci à Pierre-Olivier de nous donner ta vision de québécois du rôle de l’État actionnaire.
Pierre-Olivier SAVOIE, Cofondateur de Savoie Laporte (Paris, Montréal, Toronto) : Merci beaucoup Sophie, merci beaucoup pour la présentation. Ma présentation va commencer en disant que ce n’est pas parce que on a le droit de faire quelque chose qu’il faut le faire et avec des variations sur le thème de l’épisode Couche-Tard Carrefour quand j’ai vu ça dans les nouvelles, moi je trouvais que c’était inapproprié ; très très rapide, voire trop rapide comme réaction. En fait je suis avocat depuis 20 ans et en France depuis huit ans où j’interviens en cas de contentieux international où sont représentées des sociétés canadiennes, j’ai participé à la négociation de l’accord commercial global ECG pour l’acronyme français, communément connu sous CETA en anglais. Donc je fais partie de l’équipe canadienne qui a travaillé sur la conclusion de cet accord, en vigueur de manière provisoire en attendant plus.
Sur la question du rôle de l’État dans les opérations M&A, un des aspects c’est le rôle de l’État sur l’approbation des investissements étrangers pour tous les pays, aux US, où que ce soit, la loi sur l’investissement au Canada, le Code monétaire et financier, ici sur la sécurité alimentaire.
Mais tout le monde voit le monde à sa façon, au Royaume-Uni qui récemment a changé sa façon de contrôler les investissements dans le cadre de la nouvelle loi sur l’approbation des investissements étrangers. Pour ma part, j’ai aussi conseillé le gouvernement canadien, notamment sur l’application de la loi sur l’investissement au Canada sur la question de savoir quels sont les risques de poursuite avec un investissement en vertu de multiples traités de libre-échange, d’accords d’investissement, et je pense qu’il est intéressant de regarder l’historique de la loi sur l’investissement au Canada, qui en fait a été modifiée en raison de pressions des États-Unis. Lorsque dans les années 1990, à ce moment-là, l’investissement étranger de plus 4 millions de dollars canadien (pas grand-chose) étaient soumis à l’approbation du ministre de l’industrie et dans la négociation avec les USA sous l’ALENA, l’accord a graduellement rehaussé le seuil d’approbation de 300 millions à 1 milliard.
Donc évidemment l’acquisition de parts de Bombardier par Alstom est assujettie à ce genre d’approbation par le Ministre de l’industrie, il y a eu beaucoup de discussions et pas de problème ultimement, mais l’autre aspect important de l’existence de cette loi là c’est qu’au Canada il n’y a pas eu ce refus d’approbation depuis 25 ans depuis l’ALENA.
On a eu des dossiers très débattus, des tergiversations où on s’est demandé le ministre va-t-il approuver, quel est le sens du signal et de son processus aussi parce que, peut-on considérer que c’est approprié de se prononcer dans les 24 heures, ma lecture du Code monétaire et financier c’est qu’il y a un processus de suivi et de tension et dans le contexte d’approbations, Alstom /Bombardier ça sert de signal donné dans ce cas. Le premier point de présentation qui est de dire que ce n’est pas parce qu’on a le droit de faire quelque chose que c’est nécessairement une bonne idée, je parle du rôle régalien dans le contexte de l’application de la loi par l’Etat. En se prononçant aussi vite, l’Etat envoie un signal. Le premier point de ma présentation, donc.
Le deuxième, c’est que Sophie m’a demandé de répondre à une question : est-ce qu’une agence équivalente à l’APE au Canada existe et comment l’Etat investit en tant qu’actionnaire ? Il y a beaucoup de sociétés de la Couronne avec des possessions par le système fédéral, et puis il y’a des provinces où chaque gouvernement a sa façon de fonctionner et ce qui généralement existe pour l’une de ces raisons, c’est que soit c’est parce qu’il y a effectivement une question régalienne par exemple la loi de la Couronne fédérale, ou parce que c’est un domaine où le service essentiel dans un très grand pays avec des questions de transport (que ce soient des sociétés de traversiers dans des endroits plus reculés ou que soit ce long service pancanadien société de la Couronne, comme par exemple Hydro Québec le plus grand producteur d’électricité en Amérique du Nord). Donc effectivement ça va au-delà, après une agence par laquelle les gouvernements investissent dans des sociétés privées ?
C’est essentiellement défini par la législation fédérale du gouvernement établi par la loi et on a effectivement le fonds de pension fédéral qui gère des milliards de dollars canadiens et le Canada Pension Board, fonds de pension de 389 milliards de dollars canadiens, en juillet 2021, derniers chiffres. Il y a une petite différence importante pour le Québec, mais c’est intéressant de le comparer au rôle d’investisseur de l’APE ; et avec la législation canadienne, il est donc question de faire de l’argent.
Ce problème de compréhension dans cette différence de façon directe de la loi québécoise de s’appliquer s’inscrit essentiellement dans ce critère même de maximisation commerciale, mais en tenant compte des intérêts de Québec. Donc si vous voulez investir dans une entreprise qui veut faire du profit et en plus faire avancer les intérêts du Québec, il y a ce critère connexe ou important, c’est justement d’être un opérateur purement commercial donc ce qui est arrivé, c’est que dans la plupart des sociétés de la Couronne, l’État s’est retiré, donc ça c’est le tour d’horizon de l’État comme actionnaire au Canada.
Troisième point. En fait, c’est pour revenir sur la question de rôle de l’État ou sur la question de l’égalité des chances sur le terrain pour les investisseurs. Qu’est-ce que vous faites quand dans un domaine l’État est un actionnaire minoritaire possiblement, mais également le régulateur ? Est-ce que par exemple l’APE qui a 14 % dans Orange ou possède une participation minoritaire, par exemple dans une mine je crois, si vous êtes un opérateur étranger dans un de ces domaines là et pour une raison ou une autre il semble que ces sociétés ont plus de facilité à obtenir des approbations de nouvelles concessions, pour des choses comme ça il faut se poser par rapport à l’égalité des chances sur le terrain, pourquoi est-ce que c’est possiblement plus difficile pour vous si cette question-là était soulevée ce matin par la Chine, où le problème est incomparable car l’économie est essentiellement possédée par l’État dans l’économie.
Donc cela montre comment sont les choses qui doivent être faites pour s’assurer que ça fonctionne bien avec des garde-fous et donc de toute évidence et par le biais d’une société minoritaire, la tendance est à la vente, et vers un retrait de l’Etat, mais la question se pose quand même.
Martin VIAL : Avant que l’on vienne me donner la parole, je veux rappeler une chose, c’est le sauvetage des entreprises. Quand les entreprises sont surendettées, afin de forcer la conversion des dettes en actions et quand il s’agit de remettre des fonds propres, c’est quand même mieux de venir une fois que le ménage a été fait et pas de remettre des fonds propres quand la dette n’a pas été restructurée parce que du coup ça a pour effet de prendre de la poche de la BPI pour le transférer aux créanciers et c’est vrai que la réforme qui rentrait en vigueur au 1er octobre va faciliter je pense le travail de la BPI, ça va lui coûter moins cher. Je pense à certains dossiers dans l’industrie du papier et dernièrement à Vallourec.
Sophie VERMEILLE : La particularité par contre, juste je vais faire cette anecdote, je vous informe que je conseillais un activiste qui me demandait s’il était envisageable de faire supporter les pertes par les créanciers avant que l’État vienne remettre l’argent. Je comprends que c’est ce qu’on appelle la garantie implicite, c’est difficile quand l’Etat est actionnaire principal de dire « je demande d’abord à ce que les créanciers prennent leurs pertes avant de remettre au pot parce que quelque part on peut dire que y’a une part de responsabilité ».
Donc moi j’étais en relation avec des investisseurs qui ne connaissaient pas bien le concept de l’Etat actionnaire et qui connaissait encore moins bien le concept de garantie implicite. Et dans quelles conditions il devait remettre de l’argent. Nous avons compris, après la restructuration, que les étrangers se sont dits « mais non ils vont forcément structurer la dette avant ». Et donc cela a eu un effet sur la cotation de la dette de l’entreprise qui cotait avec une décote et qui donc tout à coup après l’annonce faite par l’Etat, son cours est remonté jusqu’à 0,95 € et j’ai envoyé la fiche Bloomberg à l’Élysée qui l’a bien pris.
Je ne suis pas là en train de remettre en cause le principe parce que je pense que c’est un sujet délicat. Si vous pouvez nous dire un mot là-dessus et la deuxième chose, sur ce qu’on s’est dit sur Veolia-Suez, je vais vous donner le point de vue de l’arbitrage et j’ai souvent des clients qui sont actionnaires minoritaires et notamment récemment j’avais un client qui n’était quand même pas loin de 2 % dans Suez. En fait, l’arbitrage c’est : vous êtes là vous intervenez, parfois on arrive à identifier en amont d’annonces de fusion qui pourrait être absorbé ou non, donc c’est encore mieux si vous êtes placé avant l’annonce parce que vous bénéficiez de la hausse du cours de façon massive, mais souvent ils arrivent post annonce, on voit bien qu’il y a une décote entre le montant de l’offre publique (le spread). La différence entre le prix offert par l’initiateur et le cours de l’action juste immédiatement après l’annonce qu’on identifie, c’est-ce qu’on appelle le spread et l’arbitragiste se place et donc il offre une liquidité aux actionnaires.
C’est donc comme ça que les actionnaires historiques peuvent sortir tout de suite et ça a une vraie fonction et ça aussi ça aide la réalisation des opérations d’acquisition. Pourquoi, parce que, par définition, ils ont intérêt à ce que l’opération se fasse parce que vous imaginez – je n’ai plus les chiffres en tête mais disons 21€ – si jamais l’opération ne se fait pas du coup ; le cours de bourse s’effondre, parce qu’il y a justement plus de risque d’exécution, mais par contre le jour où ça se passe mal, vous prenez une grosse perte.
Et donc forcément en tant que minoritaire, quand vous êtes Français, que vous êtes aux États-Unis et que vos boss sont américains vous transpirez très fortement parce que du coup cette idée de cette approche de partie prenante de notre capitalisme, le fait de prendre en compte d’autres critères qui jouent forcément dans la manière dont se joue l’opération, vous voyez l’écart entre l’État, Engie, Suez, Veolia, forcément ça crée un gros risque.
Du coup, ça rend le risque d’une exécution plus important. Il y avait beaucoup d’allers-retours à faire des affaires avec le CA, mais un moment donné, les patrons de fonds ne comprenaient plus rien et finalement ils m’ont laissé la main. Voilà pour se donner juste la perspective d’un investisseur étranger.
Martin VIAL : Peut-être que je vais dire quelques mots sur le cas de la garantie implicite. Effectivement je l’exprime, de façon très implicite (rires), parce que vous savez que les garanties données par l’État sont données par le Parlement, dans des cas extrêmement exceptionnels et vous évoquiez le dossier Areva, dans ce dossier l’Etat était un actionnaire de contrôle donc il avait une responsabilité objective et a refusé très clairement de donner une garantie, dans les participations publiques, on ne le fait pas. Et dans les participations publiques cela a des conséquences aves les dettes des entreprises publiques du portefeuille qui sont les entreprises contrôlées par l’Etat. A partir du moment où effectivement dans une opération si considérable que AREVA on a une restructuration de dette, il est évident que restructurer la dette avait pour conséquence, sous contrôle, d’envoyer un signal.
Hubert PRESCHEZ : On peut regarder ce que font les agences de rating. Elles font une distinction selon si c’est proche ou non du cœur de l’Etat. Je pense que EDF doit avoir 3 nudges et donc si jamais l’Etat avait décidé, après tout, « ces obligataires qui sont rentrés de manière décotée sur Areva, je me dis je vais les faire payer, on va faire un « haircut » sur la dette », aussitôt sur la dette de EDF, on aurait eu ces trois nudges qui auraient disparues. Pour les bonds qui sont déjà là, c’est bien, mais le prochain bond qu’a fait EDF c’est pas pareil, il se serait fait sur la base de conditions extrêmement différentes. On parlait de la SNCF et si on prend l’ensemble de ces sociétés qui vont bénéficier de cette ombrelle de l’Etat qui va décider. Si on prend l’ensemble de ces sociétés, si y’avait la garantie implicite, ce seraient des sociétés qui bénéficieraient de beaucoup d’argent.
Martin VIAL : Hubert a répondu pour moi mais ça me parait très bien, deuxièmement sur Veolia-Suez on peut parler longuement mais quand même il faut mentionner la raison pour laquelle l’Etat actionnaire dans Engie a pris une position négative contre cette opération et avait deux principales raisons, c’est que cela nous avait été présenté au départ comme une opération amicale au moment où la décision a été présentée au CA de Engie le 5 octobre 2020.
L’offre était toujours amicale, je ne me prononce pas sur la position prise par le CA de Suez sur laquelle nous n’avions pas pris en compte, en tout cas le constat factuel, c’est ce que ce n’était pas une offre amicale, les offres hostiles présentent bien des inconvénients et l’une des questions qui se posent du fait de cette offre qui a été de facto une offre hostile, pas seulement non sollicitée, c’est de savoir quelle va être la force du nouveau Suez, dans le paysage concurrentiel français et la deuxième raison c’est de savoir ce qui est dit par le partenaire, donc ça c’est une une raison importante et un conseil d’administration a vocation de savoir si ce qu’il lui a été dit pour savoir si le partenaire a une crédibilité ou non.
Et la deuxième question c’était effectivement sur le projet industriel et social. Nous avions une divergence et c’est la question de l’intérêt social de l’entreprise et des parties prenantes, parce que ce n’était pas une participation lambda. On ne peut pas considérer que la cession Suez était une opération purement financière, la préoccupation qu’on avait par rapport aux salariés de Suez et par rapport au périmètre de cette entité, c’était une préoccupation qui nous paraissait légitime pour un actionnaire de long terme, pour la crédibilité de Engie sur le long terme.
J’observe d’ailleurs que sur l’opération le conseil des ministres et le CA de Engie, a été pris en compte l’intérêt des parties prenantes de façon spectaculaire en voyant les exigences des engagements pris par les compétiteurs.
Avant l’offre finale sur Equans le critère n’était plus seulement financier. Certains avaient une très longue grandeur d’avance sur le prix, mais chacun sait qu’il faut aligner des considérations très très importantes sur le plan social. J’observe d’ailleurs aussi, je réponds à Hubert, que l’État et moi-même quelques jours avant publiquement, nous nous étions prononcé de façon très neutre sur le fait qu’il pouvait y avoir une prise de contrôle par le fonds américain et que cette partie de la règle du jeu de trois candidatures qui subsistaient à la fin du processus (je comprends que ça fasse faire des cheveux blancs dont la vertu que vous décrivez sous l’angle de la liquidité du marché est certainement intéressante) mais ce sont des gens qui interviennent au moment de la transaction, on est pas dans une comportement actionnarial, comment dire je… mon propos n’est pas péjoratif, je constate qu’il y a plusieurs types d’actionnaires.
Et quelques petites remarques sur ce qui était dit à propos de Renault pourraient éviter toute ambiguïté car il n’y a jamais eu de conflit d’intérêts sur la position prise par l’APE sur Renault – FCA, pour une raison très simple, c’est que, à ce moment-là, PSA avait donné une exclusivité à Renault et cessait de discuter avec PSA et je ne reviens pas sur les raisons pour lesquelles nous nous sommes prononcés contre l’opération Renault, il nous paraissait quand même clair, précisément parce que nous sommes des actionnaires de long terme, que la rupture du partenariat avec Nissan qui avait été créé 20 ans plus tôt, était inéluctable dans cette hypothèse, c’est la raison majeure de la position prise au moment où ce sujet avait été discuté dans la gouvernance du groupe. Ceci pour dire que ce mode d’actionnariat vertueux fait consensus.
On cherche l’actionnariat privé dans tous les cas et on essaie de tenir une cohérence dans laquelle je crois d’autant plus qu’en tant que actionnaires avisés de long terme, c’est que l’intérêt social de l’entreprise, c’est une première occupation sur le long terme, et la crédibilité d’une entreprise à un moment donné, parce que financièrement elle est très importante, peut conduire peut-être à la mise en cause dans des transactions ultérieures, à l’absence de cohérence dans le temps dont on sait notre préoccupation.
Sophie VERMEILLE : Désolée de vous interrompre parce qu’on n’a vraiment dépassé le temps imparti, mais je voudrais quand même laisser la possibilité de poser une ou deux questions.
Adnene GARGOURI (D&C) : Bonjour à tous, merci beaucoup pour votre intervention, j’ai une question au Commissaire par rapport à l’attitude de l’État actionnaire envers les activistes. Est-ce que vous seriez réceptifs à une campagne activiste, ou vous avez plutôt une doctrine de refus catégorique de principe à l’égard des activistes ? Merci.
Martin VIAL : Ça dépend si les intentions sont pures dans le jeu, Hubert dira qu’on reçoit les excellents banquiers et qu’on leur ne dit rien alors qu’ils ont tellement d’imagination, de créativité, de talent, et qu’il faudrait écouter les activistes.
Si le but des activistes c’est d’augmenter la valeur de l’entreprise en essayant d’améliorer encore la gouvernance et d’être plus exigeant sur la transaction et le deal, alors y a alignement. Après si le but, c’est de rentrer dans la gouvernance, de prendre 1 % du capital et de fédérer d’autres actionnaires pour couper l’entreprise en morceaux, effectivement nous sommes en désaccord et donc ça dépend. Dans certains cas, lorsqu’on est dans cette deuxième hypothèse simplement oui, sinon non.
Sophie VERMEILLE : J’ai un dernier mot, c’est sur la taille du marché aux États-Unis et le fait que pour une société de la tech, on a un marché énorme avec des centaines de millions de consommateurs alors que le marché européen reste fragmenté. La deuxième chose, c’est qu’ils ont des marchés financiers beaucoup plus profonds que les marchés européens, qui ont la capacité de pouvoir financer les entreprises qui ne font pas un euro de profits, on dit parfois beaucoup de mal sur les marchés financiers mais il faut se rappeler le nombre d’années que Amazon a passées en bourse avant de gagner le moindre dollar.