Présentation de Mathieu Bédard & Pierre Bentata
Le « Law & Economics« , ou analyse économique du droit, est plus que la rencontre du droit et de l’économie, puisqu’il s’agit d’une forme d’analyse juridique. Il ne s’agit pas non plus du « Droit économique », mais bien d’une analyse juridique utilisant les outils de l’économiste. Elle cherche à expliciter un ordre sous-jacent au droit, une logique du droit en dehors du droit lui-même, qui nous permet de le comprendre et d’étendre ses concepts de façon cohérente à des situations jusque-là inédites.
L’analyse économique du droit partage avec les autres branches de l’économie, l’hypothèse que les individus sont rationnels et réagissent aux incitations. Elle se concentre sur les incitations créées par le droit et sur l’efficacité avec laquelle les règles atteignent leurs objectifs; comment le droit modifie-t-il les comportements ? Quelle règle, parmi la vaste palette du législateur, est la mieux à même de favoriser les comportements désirés au coût le plus faible ? Ainsi, cette discipline cherche à développer les règles de droit capable d’aboutir au plus grand bien-être de la société – réduction des risques, des crimes et délits, promotion des comportements désirables – tout en réduisant autant que possible les coûts de ces règles – coût du processus législatif, coûts d’application des lois et coûts de sanction en cas d’infraction. Pour ce faire, les chercheurs en analyse économique du droit ont recours à des outils mathématiques tirés de l’économie tels que les méthodes empiriques, statistiques, la modélisation ou encore la théorie des jeux afin de formaliser l’influence du droit sur les comportements humains et leurs interactions.
Cette analyse des incitations fournies par le droit permet de développer une approche du droit originale et parfois iconoclaste. La perception des indemnités en cas d’accidents est particulièrement représentative de cette interprétation originale: en analyse économique du droit, la compensation suite à un accident n’a pas pour objectif de dédommager la victime, mais de contraindre les personnes susceptibles de causer un accident à prendre en considération l’ensemble des dommages qu’elles pourraient causer. Ainsi, l’objectif du droit ne serait pas de punir, mais de signaler l’ensemble des coûts associés aux comportements risqués; ce faisant, le droit permet de minimiser les coûts supportés par la société – à savoir les coûts de la prise de précaution et les coûts liés au dommage si l’accident se produit.
Aux yeux des juristes, le paradoxe de cette discipline réside dans le fait qu’elle précise qu’une règle efficace, désirable pour la société, n’est pas une règle qui réduit les risques d’infraction au niveau zéro. La bonne règle cherche à atteindre un niveau d’infractions, d’accidents ou de délits appelé « efficient« , c’est-à-dire qui minimise l’ensemble des coûts pour la société, aussi bien les coûts liés à l’infraction que les coûts liés au contrôle des comportements et à la prise de précaution elle-même.
En analyse économique du droit, l’efficience est un concept plus fort que la simple efficacité. En effet, il s’agit de la solution optimale à un problème: c’est-à-dire celle qui évite gaspillages et gâchis. La quantité efficiente de précautions n’est donc ni trop, ni trop peu de prudence. Aussi, l’apport fondamental de cette discipline est la mise en évidence de l’existence d’une « quantité optimale » d’accidents, de délits ou de crimes, qui n’est jamais zéro, puisque cela impliquerait des coûts infinis en matière de précaution et de contrôle des comportements.
De cette logique découle l’idée qu’en cas de conflits entre plusieurs parties, les règles doivent toujours favoriser la partie qui accorde le plus de valeur à la protection du droit en question. En d’autres termes, le responsable d’un conflit ou d’un dommage est toujours celui qui peut éviter l’apparition de ce conflit au moindre coût, même si cela implique parfois que le responsable soit en même temps la victime! À titre d’exemple, une famille qui s’installerait à proximité d’une usine polluante et subirait sa pollution serait considérée comme responsable parce qu’elle est à la source du conflit en venant elle-même à la pollution, alors que l’usine ne pouvait pas prévoir, ou du moins empêcher ce conflit, sans subir des coûts importants de délocalisation.
Ainsi, le critère d’efficience de l’analyse économique du droit conclut que le marché demeure le meilleur mécanisme d’attribution des droits, car chacun y est libre de révéler la valeur qu’il attribue à la propriété d’une ressource – qu’elle soit matérielle ou immatérielle. En conséquence, l’objectif du droit, sa logique et sa légitimité reposent sur la nécessité de retrouver les réponses du marché lorsque celui-ci n’existe pas.
Le droit sert alors de cadre, de règles du jeu, destiné à favoriser la coopération marchande entre des parties qui, en l’absence de règles, se trouveraient en conflit.
Histoire et portée
Si l’analyse économique du droit remonte à la naissance de la science économique et aux Lumières, l’analyse économique du droit moderne remonte à 1960 avec la publication Problème du coût social (The Problem of Social Cost) de Ronald Coase, qui recevra en 1991 le prix Nobel pour celui-ci. En 1968 Gary Becker publie un article fondateur sur la criminalité, qui lui valut aussi un prix Nobel en 1992. En 1972 Richard Posner, maintenant juge fédéral, publie la première édition de L’analyse économique du droit (Economic Analysis of Law) et fonde le Journal of Legal Studies, deux événements importants dans la création et l’établissement de la discipline scientifique. Dans les années 1970 Henry Manne organise une série de cours de droit pour les économistes, et de cours d’économie pour les juristes, qui contribuent à la diffusion de la discipline dans les Universités américaines. Celui-ci développera les applications de l’analyse économique du droit au droit des sociétés. D’autres économistes et juristes illustres ont façonné l’analyse économique du droit tels que Armen Alchian, James Buchanan (prix Nobel 1986), Guido Calabresi, Steve Cheung, Harold Demsetz, Richard Epstein, Friedrich A. Hayek (prix Nobel 1974) et Gordon Tullock.
La discipline de l’analyse économique du droit est aujourd’hui bien établie et il existe plusieurs cabinets de consultants spécialisés en analyse économique du droit. Des articles utilisant cette approche apparaissent également régulièrement dans les revues économiques majeures, et cette approche du droit est courante dans les revues de droit. La plupart des facultés de droit offrent des cours d’analyse économique du droit. De nombreuses facultés d’économie donnent également des cours dans le domaine. Elle compte huit grandes associations scientifiques, y compris les American, Canadian, et European Association of Law and Economics, et plusieurs revues scientifiques de premier rang.
Bibliographie et références complémentaires
Ronald H. Coase. “The Problem of Social Cost.” Journal of Law & Economics 3 (1). 1960.
Gary S. Becker. “Crime and Punishment: An Economic Approach.” The Journal of Political Economy 76 (2). p. 169-217. 1968.
Guido Calabresi. “Some Thoughts on the Risk Distribution and the Law of Torts.” Yale Law Journal 70, p. 499-553. 1961.
Friedrich Hayek. The Constitution of Liberty. Chicago: University of Chicago Press. 1960.
Richard A. Posner. Economic Analysis of Law. Boston: Little, Brown. 1972.
Paul H. Rubin. « Law and Economics. » The Concise Encyclopedia of Economics. David R. Henderson, ed. Liberty Fund, Inc. 2008.
Ejan Mackaay et Stéphane Rousseau. Analyse économique du droit. 2ième édition. Paris : Dalloz. 2008.
Un grand nombre de publication en Law & Economics sont librement accessibles sur le site Social Science Research Network.
La Grande Ecole propose également un cours du Professeur Ejan Mackaay sous forme de plusieurs vidéos sur l’analyse économique du droit.
Vous pouvez également retrouver en accès libre le livre Law & Economics for Civil Law System écrit en 2013 par EJan Mackaay, Edward Elgar : Cheltenham, UK • Northampton, MA, USA.